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  • CHRONIQUES DE POURPRE 497 : KR'TNT ! 497 : CHARLIE WATTS / DOWN IN NEW ORLEANS / ACROSS THE DIVIDE / MARC SASTRE / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 497

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    11 / 02 / 2021

     

    CHARLIE WATTS / DOWN IN NEW ORLEANS

    ACROSS THE DIVIDE / MARC SASTRE

    ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES 20

     

    J’ai la Watts qui s’dilate - Part Two

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    Les Stones ? On en fait tout un plat, alors que ça ne représente que trente albums. Que sont trente albums comparés à l’univers ? Rien.

    Grâce à ce type de raisonnement, on peut se livrer à l’expérience d’une réécoute des trente albums, ce qu’a dû faire Mike Edison pour écrire Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters. Mais ce ne sont pas les Stones qu’on écoute, c’est Charlie Watts. Diable, comme Edison a raison : l’énergie des Stones vient de Charlie Watts. Fantastique éclairage ! Celui qu’on prenait jusqu’alors pour un personnage de second plan devient une sorte de maître d’œuvre de la Stonesy.

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    C’est ce qui frappe le plus lorsqu’on ressort de l’étagère le premier album des Stones paru en 1964, England’s Newest Hitmakers. Charlie est partout, et même mieux que partout : il pulse, notamment dans «Carol» qu’il bat à la diable. Ce n’est pas un batteur qu’on entend, mais une machine de takatak. Leur «Route 66» est incroyablement bien emmené, on peut même parler de proto-punk. Voilà une occasion en or de saluer le génie de Brian Jones, composante punk des Stones. L’«I’m A King Bee» qui ouvre le bal de la B est sans doute le cut qui situe le mieux Brian Jones dans les Stones : heavy groove et glissé de note dans l’alternance du va et vient, et bien sûr, Jag pose bien son King bee baby. Personne ne peut battre les Stones à ce petit jeu. Ils traînent aussi leur «Little By Little» dans la boue, ils font littéralement du heavy punk avec un beau départ en solo d’épate latérale. Avec «Can I Get A Witness», les Stones semblent nous dire : «Bienvenue dans le swinging London motownisé !». Charlie fait une fois de plus tout le boulot, il bat ça tout droit avec un épouvantable gusto. Ils terminent avec un autre chef-d’œuvre proto-punk, l’infernal «Walking The Dog» de Rufus, c’est du punk in the flesh, avec des coups de sifflet, numéro complet avec l’I’ll show you how to wok the dog et le killer solo flash on the run. Fa-bu-leux, complètement saqué du shook et le beat de Charlie sonne comme des clap-hands.

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    La même année paraît 12 x 5, un album un peu raté car la moitié des cuts sont mous du genou. Dommage car la pochette est magnifique. On ne voit que Brian Jones dans le coin de droite. Ils ouvrent le bal avec la meilleure version d’«Around & Around» jamais enregistrée. Charlie la swingue à la perfe et les guitares se fondent bien dans l’overwhelming. Avec son tapatap, Charlie n’en finit plus de ramener du jus au jeu. On tombe plus loin sur l’«Empty Heart» qui fit bondir Roky Erickson. Il se peut que tout le son du 13th Floor vienne de là, de cette ferveur cathartique d’harmo et de guitare. Ils rockent aussi le Womack d’«It’s All Over Now» avec toute leur niaque de punksters et glissent dans la course un killer solo flash d’antho à Toto. Quelle section rythmique ! Charlie sauve la B avec «Grown Up Wrong» : il joue ça tout droit avec un petit takaktak de recalage ici et là, pendant que Brian Jones le claque au bottleneck. Ils bouclent avec un «Susie Q» joué punk aux clap-hands. Les Stones comme on les aime.

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    Trois albums paraissent en 1965, à commencer par The Rolling Stones Now ! Si on voulait faire simple, on pourrait dire que c’est un album de batteur. Eh oui, il faut voir Charlie shaker le vieux hit de Solomon Burke, «Everybody Needs Somebody To Love». Il nous shake ça au tambourin de charley derrière le need you you you. Sur «You Can’t Catch Me», il fait du rockabilly. Tout repose sur l’élégance de son beat. On entend même Bill voyager dans le son, c’est dire si les autres se régalent. Et quand on tombe sur le «Down The Road Apiece» qui ouvre le bal de la B, l’évidence saute une nouvelle fois au paf : tout repose sur le swing de la section rythmique et les solos arrivent comme des bonus mirifiques. Le British beat n’est pas une vue de l’esprit. Brian Jones se tape la part du lion avec ce «Little Red Rooster» monté sur une dentelle de takatak provided by Charlie Watts. Il bat ça fin à la folie et Brian Jones joue au long cours. L’album s’achève avec «Surprise Surprise» que Charlie bat rockab avec des relances d’une incroyable finesse. Il soutient le beat avec un tambourin posé sur la charley et l’auréole d’accointances de cymbales qu’il claquouille à la volée mesurée.

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    Aux yeux des fans, Out Of Our Heads reste l’un des sommets de la Stonesy, car c’est là que se nichent ces coups de génie inexorables que sont «The Last Time» et «Satisfaction». Ils enregistrent ces deux hits à Hollywood et sont au sommet de leur art. Charlie sort un beat infernal sur «The Last Time» et il ramène du jus d’entrée de jeu dans «Satisfaction», qui reste l’hymne de l’éternelle adolescence. La messe est dite depuis 1965. Charlie amène aussi «The Under Assistant West Coast Promotion Man» d’un simple roulement. Belle leçon de swing. Mais le reste de l’album n’est pas aussi convaincu : ils tapent dans Sam Cooke avec «Good Times», dans Solomon avec «Cry To Me» et dans Marvin avec «Hitch Hike». Ils sont complètement fous ! Par contre leur version du «Mercy Mercy» de Don Covay enregistrée à Chicago est bien envenimée.

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    Le troisième album enregistré en 1965 s’appelle December’s Children (And Everybody’s). Il laisse un goût amer car on s’y ennuie au peu, malgré les clins d’yeux à Muddy Waters, à Arthur Alexander et à Hank Snow. L’hommage rendu au vieux délinquant de Saint-Louis avec «Talkin’ Bout You» sauve l’A, car elle est heavily insidieuse. Et «Get Off My Cloud» sauve la B. On a là l’un des emblèmes du swinging London. Pas de plus beaux accords de guitare, pas de plus belle profusion de chant, de clap-hands, de Charlie et de Brian. Edison a bien raison d’écouter les takatak de Charlie : c’est de l’art moderne.

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    En fait, les Stones auront un mal fou à égaler la splendeur punkoïde de leur premier album. Ils auront enregistré cinq albums en deux ans et c’est semble-t-il avec le sixième, Aftermath, que Brian Jones atteint son apogée. Charlie bat «Stupid Girl» sec et net et il donne toute sa mesure avec «Under My Thumb» : il envoie son takatak secouer le doh doh doh de Bill. Si la Stonesy est une science, en voilà l’équation de base : Charlie + Bill = la Stonesy. La perfection du son s’accompagne d’une progression du groove, avec un plus un mélange insolent de marimba et de fuzz, c’est-à-dire Brian + Keef. C’est plombé du beat, down to me. Si Aftermath reste l’album le plus discret des Stones, c’est à cause de «Goin’ Home», véritable apanage du groove de Stonesy. Ils jouent véritablement à l’apogée d’un style. L’autre sommet de l’album est le «Flight Five O Five» qui ouvre le bal de la B, l’un des cuts les plus punky des Stones - Get me on the flight five o five - Jag s’y fracasse la part du lion. Il faut noter l’extraordinaire qualité de la prod hollywoodienne de Dave Hassinger. On note aussi une belle fuzz noyée dans le son d’«It’s Not Easy» et le génie marimbique de Brian Jones dans «Out Of Time».

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    Brian Jones vole encore la vedette sur la pochette de Got Live If You Want It paru aussi en 1966. Cet album live propose une belle collection d’énormités, à commencer par «Under My Thumb» que Charlie s’empresse de basher aux cymbales. Bill rôde divinement dans le son. The bass on the beat ! C’est le son de la sauvagerie. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Bill dévore ensuite «Get Off Of My Cloud», l’hymne des sixties par excellence. Il faudrait que quelqu’un se dévoue pour écrire un book sur Bill. La section rythmique fait encore des ravages dans «Not Fade Away» : carrée et sauvage, pleine de jus, le modèle absolu. En B, ils cassent la baraque avec l’enchaînement fatal de «The Last Time» et «19th Nervous Breakdown». Toute l’énergie vient du team Charlie/Bill et le riff vient incendier la plaine. Il faut voir Charlie entrer dans le beat du Nervous Breakdown ! Here it comes ! C’est là très précisément qu’on entre en religion. Arrive plus loin l’un des plus beaux hits des Stones, «Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow». Quelle purée royale ! Charlie bat le beurre des dieux. C’est joué aux chimes de guitare et battu à la diaboulette. À cet instant précis, les Stones sont le plus grand groupe de rock du monde.

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    Malgré sa pochette qui compte parmi les plus réussies de l’époque, Between The Buttons n’est pas l’album culte qu’on voudrait qu’il soit. Seuls deux cuts retiennent l’attention, «My Obsession» et «Miss Amanda Jones». Le premier est plutôt weird, monté sur un mish-mash de disto. Pour l’époque, c’est très aventureux et un brillant pianotis soutient les ooh baby du Jag. Il faut aller en B déterrer «Miss Amanda Jones», un cut qui préfigure Exile, c’est-à-dire l’esprit boogie foutraque. Les autres cuts peinent tragiquement à convaincre. Charlie et Bill devaient s’ennuyer à jouer «She Smiled Away». «Cool Calm & Collected», c’est vraiment n’importe quoi. Malgré les coups d’harmo, «Who’s Been Sleeping Here» refuse obstinément de décoller. Par contre la basse de Bill monte bien dans le mix.

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    Quand la conversation arrivait sur Their Satanic Majesties Request, on parlait d’un album raté. Les fans les plus exacerbés parlaient même de haute trahison. On en voyait se rouler par terre dans la cour du lycée, en proie à de violentes crises de dépit. C’est vrai que le son est beaucoup trop psychédélique pour les Stones. On vit des cars entiers de fans aller se plaindre au mur des lamentations. Keef parvient tout de même à caler un riff de Stonesy dans «Citadel» et Charlie réussit l’exploit de le swinguer. Il faut entendre ses relances titanesques ! Sinon, en s’ennuie pendant tout le reste de l’A, même si Brian Jones s’amuse avec son clavecin et sa flûte. En entendant ça, on criait à l’arnaque. Et tout reprenait du sens en B avec l’arrivée de «She’s A Rainbow», le hit parfait des Stones. Drumming impeccable, puissant et swingué à la fois. C’est ce qui frappe le plus dans ce hit magique : la qualité du drumming. Par contre, «Gomper» bat tous les records de nullité crasse. Cette volonté de psychedelia est une vaste fumisterie. Les Stones sauvent les meubles avec «2000 Light Years From Home» : belle entrée en matière, riff de basse et tatapoum de Charlie, back to the real deal de la Stonesy mais dans les étoiles, smooooth & soooo cool - It’s so very lovely/ 2000 light years from home.

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    L’un des sommets de la Stonesy s’appelle «Sympathy For The Devil» et se trouve sur Beggars Banquet. C’est l’histoire du man of wealth and taste. Tout repose sur le mix percus/drumbeat, la hargne de Jag, aw yeah, la bassline voyageuse et ces ooh-ooh qui vont marquer l’histoire du rock. Il ne faut pas oublier le solo exacerbé de Keef, assez novateur pour l’époque. La photo déployée dans le gatefold ténébreux illustre parfaitement ce chef-d’œuvre qu’est Sympathy. Encore de la Stonesy à son sommet avec «Parachute Woman», land on me tonite, et ces deux guitares qui se fondent dans le melting pot. Son très Chess dans l’esprit. Puis Jag chante son «Jig Saw Puzzle» au nez pincé à la Dylan, même esprit qu’«All Along The Watchtower», oh the singer he looks so angry. Charlie se tape un coup de génie en B avec «Street Fighting Man». Son tap tap déclenche la furia del sol. Le cut est gorgé de son, de descentes de basse, de rumeurs de sitar. Les Stones remontent à leur apogée. C’est aussi là qu’on trouve la vraie version du «Stray Cat Blues», bien vitriolée aux guitares, rien à voir avec la version à la mormoille que va jouer Mick Taylor par la suite. Et Brian Jones sort son dulcimer pour «Factory Girl».

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    La deuxième moitié de l’apogée du règne des Stones s’appelle Let It Bleed. Trois coups de génie s’y nichent, à commencer par «Gimme Shelter», if I don’t get somme sheltah, et cette folle de Merry Clayton gueule tout ce qu’elle peut. Les Stones se font tout petits dans le storm de Jag et de Merry, et quand ils chantent ensemble, Charlie pointe bien le beat. C’est un cut dont on ne se lassera jamais. On peut dire la même chose de «Live With Me». Keef & Charlie, voilà le secret des Stones, avec un punk de Jag et ses water rats par dessus. Ah quelle blague ! C’est l’un des pires coups fourrés jamais imaginés. On y entend même un solo de sax, alors t’as qu’à voir ! C’est «Monkey Man» qui illumine la B. Encore un coup du punk Jag, qui aménage une petite accalmie avant la tempête et le freakout savamment orchestré. On a toujours eu un petit faible pour le cut d’adieu, «You Can’t Always Get What You Want». Tout y est : les coups d’acou, les congas de Congo Square, le gospel batch, les pianotis et l’extrême richesse de la musicalité. On y voit le Jag jeter tous ses try sometimes dans la balance, et puis on a aussi les prescriptions filled et les gimmicks de relances très Southern, et bien sûr Mister Jimi. Sans oublier la montée au ciel du gospel batch et le basculement dans l’éternité, avec un décalage du beat imaginé par Charlie Watts. On croise peu de cuts aussi spectaculairement parfaits.

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    À ce stade des opérations, il est bon de remettre le nez dans le Mojo Interview qu’accorda Charlie en 2015. Mark Paytress y cite Keef : «No Charlie, no Stones.» Un Keef qui rappelle aussi que Charlie était un batteur de jazz peu concerné par la révolution culturelle à laquelle il participait. Charlie aime à rappeler qu’il préférait Charlie Parker à tout le reste, y compris Jimi Hendrix. Il rend aussi hommage à Ginger Baker - He’s a white African - et donc à Phil Seamen, le mentor de Ginger. Charlie se souvient aussi de sa première révélation : Chico Hamilton - You must remember, jazz was very big in those days - Et Charlie cite des noms de jazzmen anglais que personne ne connaît, sauf les spécialistes : Eddie taylor, Brian Broklehurst, John Picard, Danny Moos, people nobody knows now. Puis Charlie remonte dans le temps jusqu’à Fred Below, chez Chess, et DJ Fontana chez Sun - Il ne joue pas comme jouent les batteurs aujourd’hui, he plays shuffle, swing. he’s playing country and western like a big band drummer, a 4/4 swing time swing - Il en arrive fatalement aux Stones et rappelle qu’il suivait Keef - Keef is the rythm and I would follow him. It’s very much a Chuck Berry type mentality - Il a aussi un regard très clair sur le succès des Stones aux États-Unis : à la différence des Beatles qui ramenaient leurs chanson, les Stones se basaient sur des reprises américaines et forcément ça étonne Charlie qu’ils aient pu avoir autant de succès auprès des kids américains - These white kids actually bought it. Amazing ! - Et il ajoute : «On jouait du Jimmy Reed dans des dance shows, ce qui est plutôt ridicule, quand on y pense. Mais les kids aimaient ça. On jouait à Chicago et si tu descendais un peu plus bas dans la rue jusqu’à Smitty’s Corner, tu pouvais voir the real thing. Mais ils n’allaient pas chez Smitty’s.»

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    En 1970, il a fallu se débrouiller avec un seul album des Stones, ce Get Yer Ya-Ya’s Out qu’on a beaucoup trop écouté. Mick Taylor n’y amène rien. Que dalle. À la limite, on préfère le «Jumping Jack Flash» des Groovies. Si on écoute «Midnight Rambler», c’est uniquement pour Charlie. Pareil pour le Sympathy qui ouvre le bal de la B : tout le jus vient du battage en règle de Charlie. Ça ne tient que par lui. Mick Taylor en fait trop. Très belle version de «Little Queenie», aw took a look at cha, c’est l’un des sommets du boogie boogah, bien allumé au coin du bois. On les voit ensuite ramener toute la musicalité du rock dans «Street Fighting Man». Les descentes de guitares croisent l’impeccabilité du drive de basse, ça claironne très haut dans le ciel du Madison, les Stones jouent à la clameur and Charlie is good tonite, hesn’t he ?

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    Sticky Fingers est un album à double tranchant. Impossible de s’habituer au son de Mick Taylor. Son solo dans «Sway», ce n’est plus de la Stonesy. Par contre, «Can’t You Hear Me Knocking», si, c’est la Stonesy comme on l’aime, avec une basse bien ronde dans le son et un Jag bien punk au chant - Help me baby/ Ain’t no stranger - Voilà la Stonesy mal peignée, percutée de la culasse, impavide et Bobby Keys rive le clou du cut avec son shoot de sax. Mais ce fut peut-être un peu trop groovy pour les fans des Stones à l’époque. En B, Charlie fait un carton avec «Bitch» et c’est là qu’on entend le fameux my heart’s beating louder than a big bass drum.

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    Il faut bien dire qu’Exile On Main St sent le remplissage. L’album qui est double ne tient que par la présence de deux merveilles, «Rocks Off» et «Happy». Charlie bat sec l’up-tempo de «Rocks Off» et Keef chante son «Happy» d’une belle voix de fausset. Le voilà à son plus frénétique. Fabuleux travail de riffing. Mais pour le reste, c’est compliqué. On les voit tenter le diable avec «Rip This Joint», jolie tentative de jump cuivré de frais et joué à la stand-up. C’est Charlie qui rafle la mise avec un jive de jump. «Casino Boogie» est l’archétype de la Stonesy qui ne sert à rien. Avec «Tumbling Dice», les Stones inventent les Black Crowes. C’est là que Chris Robinson et les autres vont venir s’abreuver. Il faut dire que la musicalité de Dice est un modèle éternel. La B est la face la plus faible d’Exile. Tous les cuts sont mous du genou et privé d’éclat, comme d’autres sont privés de dessert. Zéro idée aussi en C, à part «Happy». C’est le problème global d’Exile. Pas d’idées. Cet album est infesté de filler. Pas de quoi faire un plat non plus avec la D. Ils recyclent le riff de «Monkey Man» pour essayer de sauver «Soul Survivor», mais on ne l’écoute même pas.

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    Tous les fans des Stones se sont arrêtés à l’époque avec Goats Head Soup. Le vieux groove de «Dancing With Mister D» rendait l’album tolérable. On éprouvait une immense pitié pour les Stones qu’on sentait en panne d’inspiration. On écoute ce Dancing en sachant bien qu’il ne s’y passera rien de plus que ce qui s’y passe déjà. Exile nous a heureusement habitué aux faces pitoyables, et donc l’A ne choque pas plus que ça. «Doo Doo Doo Doo (Heatbreaker)» se noie dans cette A pitoyable, presque sauvé par des chœurs déshinibés et des nappes de cuivres. On retrouve deux shoots de Stonesy en B, «Silver Train» et «Star Star». Chaque fois, le Silver Train rejaillit du passé. C’est le cut oublié par excellence. Johnny Winter en fit une reprise superbe. «Star Star» est typiquement le genre de cut qu’on attend d’eux : voilà de la Stonesy pure et dure, fuck a star ! Quatre bons titres sur un album, ce n’est pourtant pas si mal. Le problème est qu’à cette époque, on attendait encore des miracles des Stones.

    Dans le Mojo Interview, Charlie rappelle à quel point il a détesté le succès - Je n’ai jamais aimé ça. Oh, j’adorais jouer dans un groupe qui marchait bien, et j’adorais la scène. Mais une fois le rideau tombé, laisse tomber. Je détestais ça - Comme il détestait le flower power.

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    On a tout de suite détesté la pochette d’It’s Only Rock’n’Roll, même si Guy Peellaert la signe. Pochette trop arty pour les Stones ? Allez savoir ! C’est là sur cet album paru en 1974 qu’on trouve le «Luxury» que reprenait Jesse Hector. Joli coup de working so hard to keep in your luxury, monté sur le riff de Keef. Sinon, l’album propose un joli tas de Stonesy bien pépère, du style «If You Can’t Rock Me» ou «Short And Curlies», et même des cuts qui ne servent à rien comme «Ain’t Too Proud To Beg» ou le morceau titre. Voilà où mène la célébrité. On voit même Mick Taylor faire son Santana sur «Time Waits For No One», un cut qui étrangement se laisse écouter. Ils finissent cet album mi-figue mi-raisin avec une belle tentative de retour aux affaires, «Fingerprint File». Ces vieux démons de Jag & Keef savent encore touiller un dirty bag.

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    Paru en 1976, Black And Blue est peut-être l’album des Stones le plus détesté et donc le moins connu, sans doute à cause de ce «Hot Stuff» qu’on entendait partout à la radio et qui était leur vision du funk blanc. C’est vrai que l’A est catastrophique. Ils se prennent pour Peter Tosh avec un «Cherry O Baby» inepte et pour Rickie Lee Jones en B avec un «Melody» encore plus inepte. Et pire encore, pour Roy Orbison avec «Feel To Cry». Alors que fait Charlie ? Il frappe «Hey Negrita» sec et net. Keef sauve l’album avec «Crazy Mama» et son phrasé distinctif. On y admire une fois encore la cohésion du son. Les Stones, ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité, l’un des symboles du British sound. Keef est un guitariste qui joue avec une précision exceptionnelle, son petit riff est une véritable merveille d’intentionnalité. C’est aussi sur Black And Blue que Ron Wood fait son entrée dans les Stones. Il joue sur quelques cuts et figure au dos de la pochette.

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    Le Love You Live paru en 1977 est un document intéressant, quasi ethnologique. Keef y sort une fantastique version de «Happy» qui justifie à elle seule l’écoute de ce double album. C’est un peu comme si tout le dandysme des Stones s’y incarnait. Tout ce qu’on peut aimer dans le rock anglais est là, dans cette version embarquée au heavy beat de Charlie. Et curieusement, le «Hot Stuff» qu’on y trouve est bien meilleur que la version studio de l’album précédent. En B, Keef chante son vieux «Tumbling Dice» à la force du poignet et Woody se fend d’un beau solo entreprenant dans «You Can’t Always Get What You Want», mais quand même, il vaut mieux écouter la version studio pour récupérer le gospel batch. Les Stones rendent hommage aux blackos avec la C : du blues avec «Mannish Boy» et «Little Red Rooster» et du Chuck avec «Around & Around». Ils terminent avec le bouquet fatal «Brown Sugar»/Jumpin’/Sympathy. C’est vrai qu’avec ça, ils sont dans l’universalisme. Voilà trois hits puissants qui ont façonné leur époque. Le Sympathy est assez long mais ultra joué. On en a pour son argent. Les Stones ont des hits, ils s’amusent bien et ils ont raison.

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    Tiens, voilà l’album du grand retour : Some Girls. En 1978, tout le monde croyait les Stones finis. Les Stones ? Ces vieux has-been ? Ha ha ha ha ! C’est vrai qu’ils commencent l’album en se prenant les pieds dans le tapis avec «Miss You». Sacrilège ! De la diskö ! Mais aussitôt après, Jag fait claquer le fouet de «When The Whip Comes Down». Cut sans peur et sans reproche. Et puis de fil en aiguille, ce bal d’A va nous réconcilier avec les Stones. Si on en pince pour la Stonesy, c’est même l’album idéal. On retrouve le joli mingling de guitares dans «Just My Imagination». Serait-ce le retour de the Ancient Art of Weaving dont parle Mike Edison ? Le morceau titre est lui aussi très bardé de son. Les deux guitares jouent le jeu de la musicalité à gogo. Il semble que les Stones se réinventent avec ce retour aux sources, dans l’insatiabilité de l’Ancient Art of Weaving. Encore trois belles surprises en B, à commencer par un «Respectable» gorgé de guitares et des meilleures. Charlie mène la danse à la force de son énergie. C’est Keef qui chante «Before They Make Me Run», avec son accent biaisé et les guitares en biseau derrière. Fantastique allure de bastringue ! Il relance inlassablement son relentless, penché en avant, comme s’il chantait par en-dessous. Woody passe à la basse pour un «Shattered» tapé à l’insidieuse. Voilà ce qu’on appelle une vraie fin de non-recevoir.

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    Puisque Some Girls marque le retour à la confiance, alors on peut s’octroyer une écoute d’Emotional Rescue. Force est de constater que les Stones des années 80 savent encore se montrer impressionnants. Il se peut que Woody ait amené du sang neuf. C’est Charlie qui tire l’épingle du jeu en B avec son numéro de drummer dans «When The Boys Go». Il bat ça sec et en force. Il vaut largement tous les batteurs du punk anglais, il pulse à merveille. Les chœurs de filles participent aussi à la grandeur des Stones. Le hit de l’album s’appelle «Let Me Go». Merveilleux shoot de Stonesy - I tried giving you the velvet gloves/ I tried giving you the knock-out punch - Keef joint ses chœurs de fausset à ceux du Jag. On note que Bill est toujours là et on l’entend bien mener la danse de «Dance», alors que Charlie joue au fouetté de peau des fesses avec un tact qui encore une fois en bouche un coin. C’est un plaisir que d’écouter ça, rien que pour le fouetté de Charlie. Cet album ne laisse pas indifférent, on s’effare assez rapidement du son, notamment dans «Summer Romance». Le son est plein comme un œuf. Ils jouent leur vieille carlingue de Stonesy en fer blanc et Charlie bat ça comme s’il avait vingt ans. C’est aussi sur cet album que se niche l’infâme putasserie qui donne son titre à l’album et Keef vole au secours des fans avec «All About You». Il est faux dès qu’il monte son ouuhhh, mais c’est ce qui fait le charme discret de sa bourgeoisie.

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    Attention, le Tattoo You date de 1981, donc il ne date pas d’hier. Ce Tattoo-là est un faux album puisque les Stones y proposent les restes de sessions précédentes, comme par exemple ce «Slave» qui date des sessions de Black And Blue. On peut donc parler d’un cut sauvé des eaux. Il y a du son, quoi qu’on puisse dire des Stones d’après les Stones. C’est même assez balèze, avec ces coups de sax et ces chœurs de rêve - Don’t wanna be your slave - Mais si on écoute tous les tardifs des Stones, ce n’est pas seulement à cause du big book de Sharky, c’est aussi pour Keef, et là, il nous ressort un «Little T&A» qui date des sessions d’Emotional Rescue. Il faut le voir lancer ses She’s my little rock’n’roll. Il n’y a que lui qui puisse réussir ce sortilège. Il lance des yah keefy, il niaque son chant avec génie et derrière le son fonce comme une diligence. Puissant Keef ! Rescapé des sessions de Some Girls, voici «Black Limousine» que Jag chante comme un punk. Les Stones renouent avec le pâté de boogie. L’autre merveille de ce ramassis de rescapés est «Waiting On A Friend» qui date du temps de Goat Heads Soup. Voilà les Stones dans une espèce de pop-rock à parfum paradisiaque, ambiance Southern, good time music de rêve, pur moment de magie. Sonny Rollins blows the sax et Nicky Hopkins égrène ses rivières de diamant. C’est le cut parfait, avec des accents dylanesques et sa musicalité maximaliste. C’est aussi sur cet album qu’on trouve le heavy keefy «Start Me Up» que Charlie bat à la bravado. Comme si les Stones montraient qu’ils voulaient encore frapper un coup. Et quel coup ! Ce sont les vieux Stones, mais God, comme ils savent tenir un beat. C’est dirons-nous leur façon de chasser le doute parmi les fidèles de la vieille paroisse. Quant au reste, on peut le foutre à la poubelle. Ce sale petit voyou de Jag ruine pas mal d’efforts.

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    Malgré sa pochette d’une incroyable vulgarité, Undercover est un bel album de Stonesy. On note la frappe sèche et déterminée de Charlie dans «She Was Hot» et «Tie You Up» sonne comme un vieux rockalama net et sans bavures. Keef monte aux chœurs sur les ponts, et comme c’est chanté à la ramasse, ça redevient du grand art. «Wanna Hold You» est le cut de Keef. Il adore chanter ses cuts de Keef. C’est dingue comme il sait faire la différence. Charlie veille au bon grain de l’ivraie, car il cavale bien le beat. On trouve aussi des cuts de diskö-funk bizarres sur l’album («Undercover Of The Night» et «Too Much Blood») et les Stones retrouvent leur éclat avec «Too Tough», un cut qui repose une fois de plus sur le beat de Charlie. Bon d’accord, Jag chante et Keef ramène du riff de fer blanc, mais la classe du cut vient du beat. Curieusement, «All The Way Down» est encore un énorme cut de Stonesy chanté à pleine gueule. Ils continuent de produire cet excellent mix de riffs, de beat et de voix. Ils n’ont rien perdu de leur superbe.

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    Pochette années 80 pour Dirty Work avec des Stones déguisés en coiffeurs. L’époque veut ça. Il semblerait que ce soit l’album de Charlie car le beat est monté au devant du mix. Du coup, «Fight» devient un cut de batteur. Et comme le montre «Hold Back», Charlie n’a jamais battu aussi sec. Il joue dans la devanture du mix et ça donne du jus à ces cuts qui n’ont pas de cou. Et comme le dit si justement Edison, «Had It With You», c’est le son de Jag et de Keef qui se battent. C’est gratté à l’os et l’harmo ramène les Stones aux sources. Le cut de Keef s’appelle «Sleep Tonight». Au fond, Keef est un vieux requin mélancolique.

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    On trouve une belle énormité sur Steel Wheels : «Hold On To Your Hat». Les Stones sont encore capables de beaux blasts, il faut s’en féliciter. Keef introduit «Sad Sad Sad» au riff vainqueur et Charlie le bat à la dure. Voilà encore un cut de batteur avec un fort relent de Stonesy. La prod est une merveille absolue. Keef doit aimer le hard funk car voilà qu’arrive «Terrifying». Comme il a des idées de riffs en tête, il faut que ça sorte. Le «Rock And A Hard Place» qui ouvre le bal de la B est plus classique. On entend les Stones de l’époque. Charlie y bat un big break de bass drum. Edison a raison d’insister sur l’importance de Charlie Watts. Pas de Stonesy possible sans cette force de frappe. Et puis voilà le cut de Keef, «Can’t Be Seen». Quand il prend le micro, on sent nettement la différence. Il chante à perdre haleine, embarqué une fois encore ventre à terre par le beat cavaleur de son poto Charlie.

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    Énorme album que ce Voodoo Lounge paru en 1994. Inespéré ! Charlie casse la baraque avec «You Got Me Rocking». Charlie on the beat, yeah ! Si les Stones, n’ont pas le heavy drum beat de Charlie, ils n’ont rien. Charlie bat comme un galérien. C’est une leçon dont l’histoire se souviendra. Il fait encore des siennes dans «Sparks Will Fly». Une bombe. Tout le chant de Jag repose sur Charlie. C’est bardé de son, avec Darryl Jones on bass. Terrific ! Charlie réveille encore les bas instincts dans «Moon Is Up». Il bat tout ce qu’il peut battre. Alors Jag peut faire son cirque. C’est soutenu au concert d’orgue cajun. Encore une fois, tout repose sur les épaules de Charlie et les autres ramènent du gratté de poux sur leurs guitares. Résultat plutôt fascinant. On entend Keef charger la chaudière d’«I Go Wild». C’est le cut révélatoire de l’album, rien d’aussi explosif. Et les keefy cuts ? On en trouve deux, ici, «Thru & Thru» et «The Worst». Keef ne chante pas très bien son Thru, mais c’est Keef, il est encore capable de coups de Jarnac, d’autant qu’il part en sucette à la fin du cut. Beautiful Keef !

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    Avec Stripped, les Stones radotent leurs vieux tubes. Charlie bat «Street Fighting Man» comme plâtre, mais on perd toute la magie de la version originale. Puis ils flinguent «Like A Rolling Stone», «Not Fade Away» et battent tous les records d’infamie avec «Shine A Light». Jag s’y prend pour un Soul Brother, c’est comme si on voyait palpiter son anus. Rien à tirer non plus de «The Spider & The Fly» et d’«Im Free». Pareil pour «Wild Horses» : allez plutôt écouter la version originale. Ici, le Jag est insupportable. En fait on ne supporte plus le vieux Jag, on ne supporte plus de le voir ruiner ces hits magiques que sont «Let It Bleed» et «Dead Flowers». Keef sauve le set avec «Slipping Away».

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    Heureusement, Bridges To Babylon vole au secours des Stones. Quel album ! Démarrage en trombe avec «Flip & Switch», fracassé par Charlie le punk. Wow, on peut dire que Charlie bat ça wild. Alors Jag peut ramener sa fraise mordorée. On entend rarement des beats aussi ramassés. Tous ceux qui s’imaginent que Charlie sucre les fraises se mettent le doigt dans l’œil. Il n’a jamais aussi bien battu. C’est un batteur infernal. Il bat à la folie Méricourt. Il bat dans l’aura du no way out. Keef est juste derrière. Avec «Low Down», on sent que les Stones font l’impossible pour rester les Stones. Ils ressortent toutes leurs vieilles ficelles de caleçon, mais ça ne marche pas. «Gunface» non plus. Keef sauve les meubles avec «You Don’t Have To Hear It», un reggae de pirate, whisper in my ear, Keef nous emmène dans la cabane, il sait le faire, avec les chœurs et les cuivres. Admirable. Retour en force des Stones avec «Out Of Control» et son refrain explosif, comme à la grande époque. C’est le genre de cut qui ne prévient pas, comme un coup de boule. Retour aussi du power dans «Saint Of Me» - You’ll never make a saint of me - ce démon de Charlie bat ça wild encore une fois et Jag tire bien son épingle du jeu. Charlie bat «Might As Well Get Juiced» au hip-hop beat et on entend une belle mélasse de guitares dans le fond du beat et une fois encore, Jag se prend pour le diable. Belle démonstration de heavyness. Encore un cut de batteur avec «Too Tight», violente décharge de Stonesy, Charlie tend le beat. Puis Keef se tape la part du lion avec «Thief In The Night» et «How Can I Stop». Magie pure, on est bien obligé de l’avouer.

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    Faut-il écouter A Bigger Bang ? Oui, mille fois oui, ne serait-ce que pour «This Place Is Empty», cut de Keef, c’mon baby. Il est effarant de classe. Il chante sa vieille rengaine aux dents branlantes de junkie dude. Du coup, les Stones reprennent du sens, loin des putasseries de Jag. Keef et Charlie veillent au grain. Et puis on voit aussi les Stones devenir fous avec «Rough Justice». Surtout Keef et Charlie. C’est une horreur, une cavalcade infernale, une Stonesy punkoïde qui t’embarque pour Cythère, un ouragan raseur de mottes, ça déloge les bunkers, ça siphonne Tournesol, Charlie frappe comme un frappadingue. Précision capitale : Don Was produit l’album, d’où le son. «It Won’t Take Long» n’est pas de la Stonesy, mais du big heavy sound. Ça reste une aventure de rock électrique intéressante. Il faut dire aussi qu’on croise pas mal de cuts qui ne servent à rien. Il faut attendre «Oh No Not You Again» pour retrouver la terre ferme et la grosse riffalama. C’est assez violent, on assiste à un beau développé de Stonesy et c’est à Charlie que revient l’honneur de finir en beauté avec «Look What The Cat Dragged On». Charlie power ! Imbattable.

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    Le dernier album des Stones paraît en 2016 et s’appelle Blue & Lonesome. C’est un album conçu en hommage au blues et ils tentent de renouer avec le son de leurs premiers albums, mais sans Brian Jones, ce qui est une grave erreur. Sans Brian Jones, les Stones ne sont pas très doués pour le blues. Les problèmes commencent avec le «Just A Fool» de Little Walter. Jag y sonne comme une vieille tante de la Nouvelle Orleans. Derrière ça joue et ça bat sec et net. Quoi qu’on en pense, il faut avoir écouté ça. Et pas sur un smartphone. Il faut un minimum de son pour se faire une idée. Avec «Commit A Crime», Jag se prend pour Wolf, donc ça pose un problème. Ça ne marche pas, malgré tout l’harmo du monde. On les voit jouer aussi le morceau titre à l’extrême sincérité, mais justement, c’est là où le bât blesse : trop de sincérité tue la sincérité. Jag tente de faire illusion avec l’antique «All Of Your Love» de Magic Sam, mais encore une fois, on décroche. Il faut attendre «I Gotta Go» pour voir les Stones s’aligner sur la folie de Little Walter. Saluons leur courage. C’est gonflé de leur part. Charlie stompe le beat et sauve les Stones du naufrage. Et comme on le voit avec le heavy blues d’«Everybody Knows About My Good Thing», Keef ne fait jamais n’importe quoi. Même s’il choisit Johnnie Taylor, les Stones manquent de crédibilité sur ce coup-là. N’est pas Stax qui veut. Et si c’est Keef qui le prend au chant, on l’accepte, mais jamais Jag. No way. Retour à Little Walter avec «Hate To See You Go» tapé au heavy beat de garage blues. C’est bardé de son et d’énergie, c’mon baby/ baby please don’t go - Ils noient ensuite «Hoodoo Blues» d’harmo, et Jag chante comme à l’aube des Stones. Alors forcément, ça pince le cœur. D’autant que les Stones rendent un bel hommage au génie de Lightning Slim.

    Au moment de l’interview, Charlie a 73 balais. Il pense pouvoir jouer avec le Stones jusqu’à 85 ans - C’est facile, tu t’arranges pour que le public soit heureux à la fin de la soirée - L’interview a lieu au moment où les Stones prévoient de partir en tournée pour jouer Sticky Fingers. Mais sans Mick Taylor. En même temps, Charlie avoue qu’il en a un peu marre des tournées - I want to do other than sit in a hotel in Ohio. Je veux dire que j’ai fait ça toute ma vie. Si Keef était là, il dirait : ‘Que veux-tu faire d’autre ?’ - Charlie reconnaît pour finir que les Stones sont plutôt bien conservés. Paytress lui fait d’ailleurs remarquer qu’il a toujours ses cheveux. We’ve kept a lot of it together, lui répond Charlie, surtout Mick. Mais aussi Roger Daltrey, et Ringo. Il rappelle ensuite que passé les 40 ou 50 ans, il y a des choses à faire pour pouvoir encore durer 20 ans. Paytress demande quelles choses et Charlie lui répond faire de l’exercice. Mais pas trop. Il dit détester les muscles. «Si tu as des muscles, tu ne peux plus porter un costume.» Alors Paytress lui rappelle que Ginger avait fait du vélo de course. Charlie conclut là-dessus : comme Keef, Ginger était une force de la nature. Ginger n’avait pas l’air bien ces derniers temps, mais il jouait encore comme un démon après avoir mené la vie qu’il a mené. Now that’s amazing.

    Signé : Cazengler Charlie Ouaf (va chercher la baballe)

    Rolling Stones. England’s Newest Hitmakers. London Records 1964

    Rolling Stones. 12 x 5. London Records 1964

    Rolling Stones. The Rolling Stones Now ! London Records 1965

    Rolling Stones. Out Of Our Heads. London Records 1965

    Rolling Stones. December’s Children. London Records 1965

    Rolling Stones. Aftermath. London Records 1966

    Rolling Stones. Got Live If You Want It. London Records 1966

    Rolling Stones. Between The Buttons. Decca Records 1967

    Rolling Stones. Their Satanic Majesties Request. Decca Records 1967

    Rolling Stones. Beggars Banquet. Decca Records 1968

    Rolling Stones. Let It Bleed. Decca Records 1969

    Rolling Stones. Get Yer Ya-Ya’s Out. Decca Records 1970

    Rolling Stones. Sticky Fingers. Rolling Stones Records 1971

    Rolling Stones. Exile On Main St. Rolling Stones Records 1972

    Rolling Stones. Goats Head Soup. Rolling Stones Records 1973

    Rolling Stones. It’s Only Rock’n’Roll. Rolling Stones Records 1974

    Rolling Stones. Black And Blue. Rolling Stones Records 1976

    Rolling Stones. Love You Live. Rolling Stones Records 1977

    Rolling Stones. Some Girls. Rolling Stones Records 1978

    Rolling Stones. Emotional Rescue. Rolling Stones Records 1980

    Rolling Stones. Tattoo You. Rolling Stones Records 1982

    Rolling Stones. Undercover. Rolling Stones Records 1983

    Rolling Stones. Dirty Work. Rolling Stones Records 1986

    Rolling Stones. Steel Wheels. Rolling Stones Records 1989

    Rolling Stones. Voodoo Lounge. Virgin Records 1994

    Rolling Stones. Stripped. Virgin Records 1995

    Rolling Stones. Bridges To Babylon. Virgin Records 1997

    Rolling Stones. A Bigger Bang. Virgin Records 2005

    Rolling Stones. Blue & Lonesome. Polydor 2016

    Mark Paytress. The Mojo interview : Charlie Watts. Mojo # 261 - August 2015

     

    Down in New Orleans

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    Avec Stuart Baker (New Orleans Funk/Soul Jazz), l’autre grand spécialiste du New Orleans Sound s’appelle John Broven. Rhythm And Blues In New Orleans est très certainement l’ouvrage de référence en la matière. Comme le dit si bien Charles Aznavour, ils sont venus, ils sont tous là. Broven brosse dans son livre le portrait de chacun des acteurs d’une scène incroyablement riche, à commencer bien sûr par Cosimo Matassa, le Sam Phillips local, auquel Fatsy, Little Richard, Lloyd Price et tant d’autres doivent tout. Passionné de son, ce petit épicier italien développa ce que Mac Rebennack appelle the Cosimo sound - strong drums, heavy bass, light piano, heavy guitar, light horn and strong vocal lead (gros son de batterie, de basse et de guitare, piano et cuivres légers et chant puissant) - Alors bien sûr, vous allez dire que c’est facile pour lui quand on a des mecs aussi brillants que Fatsy et Little Richard dans le studio, mais non, pas du tout, il faut raisonner à l’inverse, c’est parce que ces mecs sont brillants qu’il faut se montrer à la hauteur. Mac ajoute que Cosimo demandait au guitariste de doubler la bassline et aux cuivres de la renforcer. Mais ce n’est pas tout. Cosimo : «The New Orleans Sound wasn’t only based on horns and rhythm. There’s a kind of attitude to lyrics too.» (Le son New Orleans n’est pas seulement basé sur les cuivres et la rythmique. Les textes jouent aussi un rôle capital). Il cite l’exemple des Cajun guys de la Louisiane du Sud qui avaient la même kind of attitude to lyrics, oui des mecs qui savaient soigner leurs textes. D’ailleurs Huey P. Meaux travailla énormément avec Cosimo. Notons qu’en 1956, Cosimo avait déjà enregistré «Lawdy Miss Clawdy», «Tutti Frutti» et «Ain’t That A Shame». Pas mal pour un petit épicier rital, non ?

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    Red Tyler parle du studio de Cosimo comme d’un endroit très primitif - Si tu vas y jouer en été, tu vas avoir de sacrés problèmes, car il n’y a pas d’air conditionné - et Bert Frilot qui travailla pour Cosimo de 1961 à 1964 ajoute : «Anytime we had a recording session, that morning we’d call the French Market Ice Company and we would order two tons of crushed ice.» (Chaque fois qu’on allait enregistrer, on appelait la French Market Ice Company pour se faire livrer deux tonnes de glace pilée). Le nom de Cosimo restera donc attaché à des anecdotes aussi poilantes que celle des deux tonnes de glace pilée. Par contre, l’aspect business est beaucoup moins drôle. Le pauvre Cosimo tenta l’aventure en montant Dover Records. Il croyait réussir là où Harold Battiste avait échoué avec A.F.O. Records, mais il allait y laisser toutes ses plumes. Les sous rentraient moins vite qu’ils ne sortaient - I didn’t know anything about the record business - Pourtant il avait des hits («Tell It Like It Is» d’Aaron Neville ou encore «Barefootin’» de Robert Parker), mais ça ne suffisait pas. Les distributeurs jouaient sur les délais de paiement et Cosimo fut confronté au même problème qu’Uncle Sam à Memphis : plus de tréso. Le pauvre Cosimo n’avait pas d’Elvis à vendre pour se remettre à flot et il perdit tout ce qu’il possédait, y compris l’épicerie.

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    C’est Roy Brown qu’on voit en couverture de l’ouvrage de John Broven. Pour le situer, Broven dit qu’il fut le premier chanteur de Soul et que ses héritiers sont les géants du popular urban-blues, B.B. King, Bobby Blue Bland et Little Milton, auxquels il faut ajouter the early rhythm and blues output de Little Richard, de Clyde McPhatter et de Jackie Wilson. Avec «Good Rockin’ Tonight», Roy Brown started it all in New Orleans : enregistré en 1947 chez Cosimo, soit quatre ans avant que Jackie Brenston et Ike Turner n’enregistrent «Rocket 88» chez Uncle Sam à Memphis, un Rocket qu’on considère à tort comme le first rock’n’roll record. Mais dans les deux cas, on se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude : la première à hot-rocker dans ses godasses fut Sister Rosetta Tharpe en 1944 avec «Strange Things Happening Every Day». Elle y passait un petit solo hardi qui fit bander plus d’un guitariste.

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    New Orleans devient vite le nouvel El Dorado et le premier à en profiter, c’est Lew Chudd, le boss d’Imperial Records, label indépendant californien. C’est avec Chudd que commence la merveilleuse aventure de Fatsy, l’un des artistes les plus attachants et les plus brillants du XXe siècle. Cosimo rappelle que Fatsy était très créatif. Il savait s’approprier un air traditionnel. Broven : «Somehow Fats was rock’n’roll’s safety valve, and all he was putting down was good-time New Orleans music.» (D’une certaine façon, Fats servait de soupape de sécurité au rock’n’roll, il proposait de la good time music de la Nouvelle Orleans). Et il ajoute : «Relaxed good humour permeated his records and everything was simple and danceable.» Oui Broven a raison, sa musique respirait la joie et la bonne humeur et tout le monde dansait. Fatsy était aussi très populaire chez les Cajuns. Earl King se souvient d’avoir vu dans le bayou des juke-box bourrés de singles du grand Fats Domino. Parmi les gens qui doivent tout à Fatsy, on trouve bien sûr Clarence Frogman Henry, Joe Barry, Warren Storm, Chubby Checker, Bobby Darin et Little Milton à ses débuts. Broven dit mieux que personne la puissance de Fatsy sur scène : «Fats drove the band from the front, with immaculate drummer Smokey Johnson by his side setting up an irresistible street beat.» (Fats jouait devant sur scène et installé à côté de lui, Smokey Johnson battait l’irrésistible street beurre). Allen Toussaint qualifiait Fatsy de master of simplicity, mais il ajoute que la racine de sa légende reposait sur the studio magic created by Fats and Dave Bartholomew, with Cosimo Matassa at the control board. Toussaint a raison d’insister sur ce point : un artiste n’est jamais seul pour créer de la magie. C’est dans tous les cas une combinaison. Ici, ils sont trois : Fatsy, Dave Batholomew ET Cosimo. Dans le cas d’Elvis, ils seront quatre pour créer la magie de «That’s All Right» en 1954 : Elvis, Scotty Moore, Bill Black ET Uncle Sam.

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    Avec Lew Chudd, l’autre grand exploitant du New Orleans Sound s’appelle Art Rupe, boss de Specialty Records, un autre label indépendant californien. Il voyait Lloyd Price comme un équivalent de Fatsy et «Lawdy Miss Clawdy» parut en 1952. Quand Lloyd Price est appelé sous les drapeaux, il ramène Little Richard chez Specialty, et du coup, il perd sa couronne. Rien ne pouvait arrêter the wild and frantic Little Richard. Tous ses hits furent enregistrés en 13 mois, de septembre 1955 à octobre 1956, chez Cosimo, on North Rampart. Selon Mac Rebennack, Little Richard avait du talent, mais il n’eut de succès que lorsque Lee Allen and Red Tyler put that sound on him and put that hard rock feel on him. C’est le New Orleans Sound that got Little Richard across, and since he’s left that sound behind, he’s never been susscessful. Little Richard devait tout, absolument tout, au barrelhouse power de New Orleans et il commit une erreur fatale en allant ensuite enregistrer ailleurs. Pas de wild and frantic Little Richard sans New Orleans Sound, sans Earl Parmer ni Lee Allen. Il arriva la même mésaventure à Guitar Slim : tant qu’il enregistrait chez Cosimo, ça restait passionnant et tout s’écroula dès qu’Art Rupe l’envoya enregistrer ailleurs - New Orleans music does not travel (c’est un son qui ne s’exporte pas) - Guitar Slim n’enregistra que quatre cuts chez Cosimo, dont le fameux «The Things That I Used To Do», lors d’une session supervisée par Jerry Wexler, pour ATCO. Mais Art Rupe voulait Slim et il l’envoya enregistrer ailleurs, ce qui ruina sa carrière. Guitar Slim mourut alcoolique à New York. Il n’avait que 33 ans. Il était pourtant devenu légendaire : quand il jouait dans un club, il lui arrivait de sortir dans la rue avec sa guitare. Il portait des costards très voyants, rouges, blancs ou verts (the loudest green). Al Reed : «Jimi Hendrix was a latecomer with this electric sound. The man who had a hell of a lot to do with the electric sound was Guitar Slim, because his was the finest and his was about the first. No one else had done it before.» (Jimi Hendrix est arrivé longtemps après Guitar Slim qui fut le premier à jouer aussi électrique et il était le meilleur. Avant lui, personne n’avait jamais sorti un son pareil). Et Mac ajoute que lorsqu’on entend jouer Earl King, on entend Guitar Slim - But Earl was never the insane entertainer that Slim was.

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    John Broven évoque aussi le proto-punk de la Nouvelle Orleans, avec Jerry Byrne et Ronnie Barron. C’est Byrne qu’on retrouve dans l’ultra-mythique «Morgus The Magnificient» de Morgus and The 3 Ghouls, mystérieuse formation dans laquelle officient Mac et Frankie Ford. Pour Mac, Jerry Byrne et Joe Barry étaient «the two problem kids that I had.» Il faut préciser que tout ce petit monde tournait à l’héro. Broven évoque aussi le souvenir du grand Bobby Charles, un kid blanc qui s’imposa dans la black scene, avec ce mélange de New Orleans r’n’b et de Cajun feel qu’on appelle swamp pop et dont Ace remplit aujourd’hui de délicieuses compiles.

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    L’autre grand héros de Broven, c’est Johnny Vincent, d’origine italienne comme Cosimo et qui après avoir bossé pour Art Rupe chez Specialty fonda le label Ace à Jackson, Mississippi (un nom qu’allaient reprendre Ted Carroll et Roger Armstrong à Londres, en hommage à Johnny Vincent). Sur Ace, on trouvait Frankie Ford, Huey Piano Smith, Earl King, Joe Tex et... Morgus and The 3 Ghouls. Tout le catalogue Ace est réédité sur Ace en cinq volumes. On peut parler de passage obligatoire.

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    L’ouvrage de Broven épuise autant qu’une marche en forêt équatoriale. Il n’en finit plus de ramener des figures de légende. Tiens, Earl King, fils spirituel de Guitar Slim. Broven dit qu’avec lui, on est au cœur du South Louisiana swamp-pop style. Cosimo le considère comme un grand producteur, un homme à idées - He would be coming up with little figures that fit (Il sortait des petits gimmicks qui convenaient parfaitement) - Earl King enregistrait pour des tas de labels locaux.

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    Broven évoque aussi les sessions organisées par Berry Gordy en 1963 avec un pack d’artistes de la Nouvelle Orleans, Eskew Reeder (Esquerita), Earl King, Joe Jones et Reggie Hall. Reeder indique que ces sessions changèrent le son de Motown qui était alors cha-cha («Shop Around») et qui se transforma pour devenir le full sound des Vandellas («Nowhere To Run»), that funky boomin’ stuff we brought up from New Orleans. Ne les cherchez pas, ces sessions pour Motown sont restées inédites.

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    Earl King n’eut pas le temps d’écrire son autobio, Huey Piano Smith non plus, mais par chance, John Wirt lui consacre un ouvrage, Huey Piano Smith And The Rocking Pneumonia Blues. Smith avait commencé dans les années 50 à tourner dans les clubs avec Guitar Slim, puis après avec Earl King. Comme Dave Bartholomew trouvait Smith trop parfait au piano, il lui conseilla de jouer quelques fausses notes, ‘like Little Richard’. Smith tournait avec un groupe à géométrie variable nommé the Clowns dans lequel passèrent des gens comme Bobby Marchan et Gerri Hall. Huey Smith ne jurait que par la good time music, comme Fatsy. Cosimo le traitait de driving force. Huey was hot et ses albums sortaient sur Ace.

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    ( Joe Banashak )

    Puisqu’on parle des labels locaux, voilà Minit monté par Joe Banashak. Mac : «Banashak was the fortunate cat to fall upon Toussaint’s services.» (Banashak eut la chance de tomber sur un mec aussi doué qu’Allen Toussaint). Banashak embauche en effet Allen Toussaint comme producteur maison et Minit devient légendaire, avec un roster composé de gens comme Bobby Womack, Ernie K-Doe et Chris Kenner qui est selon Mac, l’un des heaviest songwriters down here - I don’t think there was anybody writing better songs, from ‘Sick And tired’ to ‘Something You Got’ in the gospel tradition, and his writing influenced Allen Toussaint - Son vieux complice Marshall Sehorn dit de Toussaint qu’il fut the most talented man I’ve ever known.

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    Dans ce livre, Mac est à la fête bien sûr, surtout quand Harold Battiste décrit le son de Dr. John the Night Tripper : «African-New Orleans-Congo Square type of spiritual thing.» Eh oui, ça devient intéressant quand le rock se fait spirituel. Battiste sait de quoi il parle puisqu’il produisit le premier album de Dr John à Los Angeles. Personnage clé lui aussi, Harold Battiste, qui fut le boss du label A.F.O., l’un des berceaux du pur New Orleans Sound, et qui comme Cosimo, bouffa la grenouille. Battiste connaîtra des heures meilleures à Los Angeles en lançant Dr John et en produisant «I Got You Babe» de Sonny & Cher. Il va aussi co-produire Doctor John’s Gumbo avec Jerry Wexler, un album clé de la mythologie de Big Easy puisque Mac y rend hommage à tous ses héros, Huey Smith, Archibald, Earl King et Fess, aidé en cela par une ribambelle de légendes locales : Lee Allen, Ronnie Barron, Shirley Goodman, Tami Lynn et Alvin Robinson.

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    Restons au rayon des producteurs de génie. Voici Dave Bartholomew, qui vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois à l’âge de 100 ans. Bert Frilot le situe ainsi : «Dave Batholomew was another one of those guys that was smarter than he knew he was.» (Il était encore plus classe qu’il ne croyait l’être, pas mal comme compliment, non ?) Frilot ajoute que Bartho pouvait diriger un big band et qu’au premier abord il pouvait avoir quelque chose d’intimidant.

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    Broven termine son parcours du combattant avec les Meters et leur organized freedom qui fit tant baver Keith Richards. En 2015, Broven se félicitait de voir que ses deux grands héros Fatsy et Bartho étaient encore en vie. Fatsy monta sur scène pour la dernière fois en 2007 au Tipitina, un set qu’on retrouve dans le film Walking Back To New Orleans.

    Marshall Sehorn : «You can go anywhere you want to: there’s no music like New Orleans music. There’s no other singers like New Orleans singers. There’s no other people like New Orleans people. Nobody else has as good a time as we do. Nobody else shakes their ass as we do, and that’s everybody, everybody from old to young, black and white, Indians, jumpin’, dancin’, carryin’ on and having a good time. And that’s what it’s all about. That’s what this city is all about.» (Tu peux aller où tu veux : il n’existe rien de comparable au son de la Nouvelle Orleans, rien de comparable aux chanteurs d’ici, rien de comparable aux gens d’ici. Ici, on prend du bon temps, personne ne danse comme on danse ici, les jeunes comme les vieux, les bancs, les noirs et les Indiens, tout le monde danse et prend du bon temps, et ça dit tout ce qu’il faut savoir de la Nouvelle Orleans).

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    La meilleure illustration de cette déclaration prophétique est sans doute le Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Le roi du Mardi Gras s’appelle Theodore Eugene Bo Dollis. Il chante dans un Indian Tribe nommé the Wild Magnolias, et leur premier album, The Wild Magnolias With The New Orleans Project parut en 1974. Aaron Neville : «The Wild Magnolias record was the first of its kind.» C’est ce qu’on appelle en langage tonitruant a smokin’ beast, un véritable chef-d’œuvre de funk primitif. Art Neville : «You heard everything in that music, Sly Stone, James Brown, Parliament, Funkadelic, even the Meters.» Rien qu’avec «Handa Wanda», c’est dans la poche. Wow, quel shuffle de funk ! C’est wahté d’entrée de jeu, chanté à l’Africaine et monté sur une extraordinaire assise rythmique, avec bien sûr des filles qui déraillent. Bo Dollis mène le bal des vampires. Même jus avec «Smoke My Peace Pipe», afro-cubain en diable, jazz de Soul de butt. On est dans l’excellence du beat, dans la moiteur des jazz-roots, dans l’orgie des influences - Sly, War, Isleys, JB’s, MG’s, Hendrix & Coltrane - Bo : «No pop, but that Otis Redding and Little Willie John, they were alright !». Pour Bo qui adore Otis et Little Willie John, le rêve absolu est de voir les Indian Tribes from Brazil, Trinitad, Haïti and the Wild West hanging out and having fun, Willie Tee est survolté, pas besoin d’expliquer, just listen ! On reste dans l’énormité avec «(Somebody Got) Soul Soul Soul», énorme cut de Soul System, têtu comme une mule, joué à l’excellence des percus et ramoné par le bassmatic. Sans doute avons-nous là le meilleur funk d’Amérique. Les Wild Magnolias terminent ce festin de son avec une triplette insurpassable : «Golden Crown», «Shoo Fly» et «Iko Iko». Back to Congo Square, sous tension maximaliste, avec tout le génie du carnaval et de ses coups de sifflets. Ils tapent «Shoo Fly» au funk têtu comme une mule, avec toute l’énergie du gospel batch puis Bo éclate l’Iko du Congo. Les filles sont magnifiques. Cyril Neville : «It came from New Orleans, and it also came from a deeper place, a place of alienation, double alienation, for being black and for being Indian.» (Ça vient de la Nouvelle Orleans, bien sûr, mais aussi de quelque chose de plus profond, d’une double aliénation, celle d’être nègre et celle d’être indien). Cyril parle bien sûr de marginalisation.

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    Sur la pochette de They Call Us Wild, les Wild Magnolias posent en grande tenue de carnaval. Au dos de la pochette, on trouve les portraits des musiciens qui les accompagnent. Black is black. Tout l’univers musical des Wild Magnolias tourne autour du carnaval. Ils tapent «New Suit» au funk de Soul très pro. Soul brother à la voix très généreuse, Bo Dollis mène bien sa barque. Le hit du disk s’appelle «Fire Water». Groove de forêt profonde et humide, ultra joué aux percus, un vrai modèle de funk africain et attention, car les Injuns arrivent avec «Injuns Here We Come» ! Bo shake bien son shit secoué de percus. Le bassman Erving Charles fait décoller le groove. Bo mâche sa niaque. Ça repart de plus belle en B avec «New Kinda Groove». Bo joue la carte du heavy groove. Il fait danser les esprits. Bo ne lâche jamais prise. La classe du groove de funk qui suit : «Jumalaka Boom Boom» ! Erving Charles joue comme un dieu. Il drive sa basse en queue de poisson. Il récidive avec «We’re Gonna Party». Ce démon d’Erving Charles crée la magie chez les Magnolias. Groove profond et luxuriant comme la forêt du Douanier Rousseau - Do you wanna party/ That’ what I say/ Party all nite long - Huitième merveille du monde.

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    Grand retour de Bo Dollis & The Wild Magnolias en 1990, soit quinze après, avec I’m Back At Carnaval Time. Casting de rêve : George Porter on bass et Snooks Eaglin on guitar. Bo attaque avec cet extraordinaire shoot de good time music qui s’intitule «Carnival Time» - Everybody’s happy - organique ! On a même un solo de trompette dixieland. S’ensuit un «Bon Ton Roulet» magnifique, véritable street rumble, il bong tong roulette, Bo chante au timbre fêlé. Belle version d’«Iko Iko» cuite dans son jus d’Africanité. Bo chante ses gênes de Brazzaville et de fuckin’ Servognan et tout l’album remonte ainsi dans le temps, comme une pirogue sur un fleuve inexploré. Tiens voilà «Shallow Water Oh Mama», fantastique exercice de style, soufflé à la Satchmo, c’est-à-dire aux trompettes de la renommée, mais ça joue dans la matière d’un groove, plus sophistiqué, pas loin de Miles Davis. On tombe plus loin sur l’imparable «Tipitina», ils fessent le Fess, à la trompette de tromblon, ce sacré Bo roule Tipi dans sa vieille diction salivaire. On s’effare de tant de classe, tous ces mecs du carni font un carnage et Bo chauffe à blanc le cul du cut. Encore une merveille avec «Coconut Milk». On suivrait Bo Dollis jusqu’en enfer. Si on recherche de l’organique, c’est là. George Porter fait le con sur sa basse pouet-pouet. Tout bascule dans la démesure, dans une orgie de beat et Bo is back, inlassable, mouvant, il groove tout à l’édentée patentée.

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    Bo Dollis & The Wild Magnolias remettent leur business en route en 1996 avec 1313 Hoodoo Street. Bo tape dans le Cuban beat avec «Run Joe». Ça se danse avec une poule dans les bras et un grand verre de rhum à la main. Ce Bo-là chante divinement, au chicot branlant. Il sonne comme le roi de la fête au village. C’est tellement plein de son que ça frise chaque fois l’énormité. On tombe beaucoup plus facilement accro de Bo Dollis que d’un disque de garage classique. Pourquoi ? Parce qu’ils s’y passe des trucs extraordinaires. Bo est un diable. «Angola Bound» pourrait bien être l’hymne à la liberté des esclaves. Bo le prend à la petite voix, accompagné par les fantômes des congas de Congo Square. Fuck, tous ces pauvres blacks n’avaient pas demandé à voyager, et encore moins à devenir les esclaves des blancs ! Mais Bo décide de prendre la chose du bon côté et fait battre les tambours. Ça donne Bo Diddley à la Nouvelle Orleans. On passe au funk avec l’excellent «Might Mighty Chief», Bo part en guerre - I’ve got a dance - mais il part en guerre sous le boisseau, en pur groover épidermique. Il tape aussi une reprise de «Walk On Gilded Splinters». C’est joué au boogaloo du lac Pontchartrain, avec le spectre de Marie Laveau en toile de fond. Bo sait réveiller les zombies. Il en fait une version bien plus authentique que celle de Steve Marriott. Les morts sont là ! Il n’existe pas de pire version. Son «Voodoo» est trop funk pour le boogaloo, mais comme Bo est un mec bien, alors on le suit. Il sabre son funk à merveille - Voodoo women ! - Les chœurs effarent au plus haut degré. Bo est dans le bain. Ça baigne pour Bo. Encore une belle rasade de funk New Orleans avec un «Injuns Here They Come» très africain, bien ramené au devant de la scène, pure africana, le son a survécu aux horreurs de l’esclavage, c’est dire si la nature humaine a bon dos. Bo salue les Injuns, c’est-à-dire les Indiens, eux aussi victimes de la cruauté des blancs dégénérés. Il termine cet album faramineux avec un «Indian Red» encore plus primitif. C’est leur façon de dire «Foutez-nous la paix !».

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    Quel fantastique délire carnavalesque que ce Life Is A Carnival ! Cet album peut rendre dingue, surtout si on commence à écouter «Pock-A-Nae» en regardant le Tribe danser la nuit sous le grand chêne. C’est de l’African beat funk, cette Africana qui traversa l’océan bien malgré elle, mais elle resplendit désormais de tout son éclat magique. Rien d’aussi définitif que ce funk de la Nouvelle Orleans, beat têtu et sensuel - All nite long - Pur genius, esprit vengeur du peuple noir qui mangera les petits culs blancs. «Pock-A-Nae» vous hantera. Toute la mythologie se met en route avec «Who Knows», groove Pontchartrain, digne de Dr John et mené par Big Chief Bo Dollis qui n’en finit plus de rallumer des brasiers dans «Party» - We are the Wild Magnolias/ Keen to sing you a song - C’mon, c’est digne de Sly - We’re on a party - C’est à se damner, le Tribe nous balance l’un des meilleurs rafts de funk de l’univers. Raw to the bone ! On vendrait son père et sa mère pour un cut aussi beau qu’«All On A Mardi Gras Day», joué au duveteux de la Nouvelle Orleans, avec un coup de tuba dans le cul du cut. Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Et voilà le Zulu King, c’est le carnaval, tout le monde danse. «Shanda Handa» sonne assez Dr John, c’est même envoûté de frais, on mesure l’emprise du hoodoo sur le rock blanc. Tout Dr John vient de là, du monde des esprits. Oui, l’Afrique a vraiment débarqué sur le continent. Avec «Cowboys & Indians», on retrouve l’esprit de Splinters, fabuleux groove de cimetière à la nuit tombée joué aux percus. On parlait du loup, le voilà : Dr John joue sur «Blackhawk», nouveau cut d’ambiance subliminale, monté sur un sale groove de mousse de cimetière abandonné - When I come down to New Orleans - Ils racontent leurs routes et leurs déroutes. Tout cet album vibre de hoodoo motion, de pulsion carnavalesque, d’all nite long, on entend jouer un guitar king du coin de la rue dans «Battlefield» et Marva Wright vient débaucher le funk-monster «Hang Tough», elle s’y arrache les ovaires, Bo Dollis l’allume et elle répond du tac au tac. Encore un chef-d’œuvre violent et dangereux avec «Tootie Ma», digne de David Lynch et des exécutions sommaires auxquelles on assiste furtivement dans Wild At Heart.

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    Un autre Indian Tribe vaut largement le détour : The Wild Tchoupitoulas, avec un album du même nom paru en 1976. Même genre d’extravagance, ces mecs posent en costume d’Injuns de carnaval, mais cette fois, Allen Toussaint les produit et les Meters les accompagnent. Leon, George, Zigaboo, ils sont tous là. Le boss s’appelle Big Chief Jolly et il mène le bal du gospel carnavalesque. Personnage clé dans l’histoire des Neville Brothers puisque George Landry, aka Big Chief Jolly, n’est autre que leur oncle. Ce junkie notoire et dealer local passe ses nuits en ville et rentre au petit matin en sifflotant. Charles Neville : «Always sharp. Hats for days.» Toujours sur son trente-et-un et coiffé d’un chapeau. Aaron raconte qu’Uncle Jolly s’asseyait au piano pour jouer (to bang out) ‘Junkie Blues’. Et bien sûr, Uncle Jolly porte une arme. Un jour, la police l’accuse d’avoir accosté une blanche. Les poulets commencent par le mettre en cage pendant 72 heures. La question n’était plus de savoir si l’histoire était vraie, si Jolly connaissait cette femme, s’il l’avait même déjà vue. La blanche est catégorique, même si pour elle tous les nègres se ressemblent. Alors les poulets mettent la pression sur Jolly. Tu vas avouer, niggah ? Impossible. Pourquoi ? Parce que Jolly ne peut pas avouer un truc qu’il n’a pas commis. Les coups commencent à pleuvoir. Bim bam ! Jolly tient tête. Mais non, j’ai rien fait ! Alors les flicards lui disent : «Baisse ton froc» et le placent face à un bureau. Un poulet ouvre un tiroir, dit à Jolly d’y mettre ses couilles et claque le tiroir. Cyril Neville : «They nearly beat him to death. Ils l’ont tellement rué de coups qu’il n’entend plus d’une oreille. Mais il a réussi à garder sa dignité et ils ont été obligés de le relâcher.»

    Ce héros de la famille Neville dit un jour à ses neveux qu’il voudrait bien enregistrer un disque comme celui des Wild Magnolias. Son idée est simple : il veut une musique qui puisse exprimer l’esprit et l’âme de son Uptown tribe. Comme il revendique le sang indien qui coule dans ses veines, ses neveux lui proposent «Indians Here We Come», un groove à la Dr John. Fantastique décontraction de groove - I’m sending my gang down two by two - Ils tapent ensuite dans un hit des Meters, «Hey Pocky A-Way». George Porter entre dans le lard du funk à la syncope. Zingaboo souligne ça finement. On est dans l’archétype du New Orleans Sound, joué à l’épisodique miraculeux. Les voix éclatent dans le blossom de la légende. L’«Indiand Red» qui ouvre le bal de la B est un hymne à la révolte - We are the Indians of the nation/ The wide wild creation/ We won’t kneel down/ Not on the ground - Fantastique déclaration d’indépendance, les Tchoupi gèrent ça au gospel batch. S’ensuit un fantastique «Big Chief Got A Golden Crown» avec de paroles mythiques - Mardi Gras morning when the sun comes up/ Big Chief gets a golden crown/ Drink fire water from a silver cup - Joli groove vermoulu, idéal pour danser dans la rue avec Martha. Encore un joli slab de funkitude avec ce «Hey Mama» joué aux congas de Congo Square - Hoon don day - C’est rythmé au don day ! Pour Cyril Neville, voir son oncle chanter, c’était comme de voir un roi : «It was royalty, funky royalty. The gooves were dance grooves, parade grooves, party grooves. It was a music of motion, a music that moved us to change our lives.» Aaron Neville pense que cet album enregistré avec Uncle Jolly est un disque saint. Uncle Jolly veut enregistrer un deuxième album, mais quand il voit si peu de blé arriver, il décide d’arrêter les frais : «Screw ‘em. I ain’t recording for those guys again.» Jolly propose de partir en tournée et ils déboulent en Californie avec Fess.

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    Wardell Quezergue est l’une des légendes du New Orleans Sound des années soixante et soixante-dix. Mais il est beaucoup moins connu qu’Allen Toussaint. Pourtant, dès qu’on met le grappin sur l’une de ses production, on tombe de la chaise et ça fait mal au cul. La preuve ? Cette compile inespérée qui s’appelle Sixteen Smokin’ Soul Senders Vol. 1 et qui sonne comme un Best of Stax, mais avec un petit quelque chose de particulier : les artistes qui s’y trouvent sont notoirement inconnus, à commencer par l’immense Lydia Marcelle et son «Everybody Dance». Une pure énormité sortie des Districts - C’mon baby do the jerk - Elle chante comme une sale petite carne des bas fonds, elle ramène tout le scum des streets, ça clap du hand et ça stomp du feet. Révélation suprême et timbre unique. Un peu comme Earl-Jean McCrea. L’autre grosse poissecaille de cette compile miraculeuse s’appelle Senator Jones. Il est là avec deux smokin’ monsters, «Let Yourself Go» et «Boston Feel». Il y est soutenu par des chœurs de filles complètement délurées. Vous n’aurez ça qu’à la Nouvelle Orleans. Senator Jones chante avec une vraie voix d’arrache. Il a ce petit quelque chose que n’ont pas les autres. Si vous aimez bien le raw r’n’b, c’est là que ça se passe - Do the Boston feel ! - Tiens, voilà encore une incroyable merveille d’Ali Baba : the Jades avec «Lucky Fellow», un fabuleux hit de groove de Soul. C’est même la part du rêve, le hit absolu des jours heureux. Idéal pour les petits cœurs serrés. Et ça repart de plus belle avec the Fabuletts et «Can’t Stay Away», encore une belle lampée de r’n’b. Tout y soigné, le son, les chœurs, les cuivres, c’est du hot raw de rêve. Et les Bates Sisters s’amusent à sonner comme les Ronettes. Yeah baby, on se croirait chez Phil. Elles y croient dur comme fer. Et puis voilà Guitar Ray qui radine sa fraise avec «Patty Cake Shake», un hit roulé dans la farine d’une basse bien ronde. C’est d’une classe indécente. Vous ne trouverez pas un seul déchet sur cette compile. Tout est nickel chez Wardell. Il visait de toute évidence le public Stax, mais comme les labels locaux n’avaient personne pour les distribuer, c’est resté lettre morte. On y entend aussi l’immensément immense Earl King avec «Feeling My Way Around». Quelle brochette de surdoués !

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    Autre légende du New Orleans Sound, Eddie Bo. Un conseil, chopez Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1956-1962, une compile Ace plutôt récente. Ne serait-ce que pour entendre «Hey There Baby», un cut digne des Beatles mais avec un batteur dément. Un vrai dingue du beat et le petit solo de sax n’y changera rien. Bo the beat fait le show. Il faut aussi entendre ce coup de génie intitulé «Check Mr Popeye», ce funk bien vermoulu qu’il l’emmène au paradis - Oh do the papah - Eddie Bo est aussi le grand spécialiste du slowah super-frotteur. On en trouve une série sublime dans cette compile, à commencer par «I Need Someone». Eddie chante comme un crocodile, les mâchoires en cœur. On note son incroyable prestance et la qualité plastique du chant l’élève au plus haut rang du kitsch. Même chose avec «Nobody Without You», slowah effarant de présence décadente et de fleurs fanées - Please/ Please come back - Ou encore «Everybody Everything Needs Love», vieux slowah gluant qu’il chante au-delà de ses capacités. Eddie est un démon, il faut le savoir, un extraordinaire artiste, il pousse les choses aux max du mix. On le voit aussi taper dans le r’n’b rudimentaire avec «Every Dog Got His Day». Eddie est une génie du chachapoum de balloche louisianaise, et il se paye même le luxe d’un killer solo de sax. Alors il tombe et remonte, affolant de petite énergie. Il tape aussi dans le heavy blues avec «You Got Your Mojo Working». Ah comme c’est bon ! On est dans le Ric d’époque, c’est-à-dire dans l’underground louisianais de l’excellence. Avec «It Must Be Love», Bo se plonge dans le heavy groove romantico - I wonder - Il se demande pourquoi il est si stupide. Il passe au rock de petite bite avec «Ain’t It The Truth Now» et attention à «What A Fool I’ve Been», c’est à tomber. Il tape là dans l’excellence du kitsch, c’est battu aux congas et nappé de violons. Extraordinaire ! Voilà encore une raison de ne pas perdre Eddie Bo de vue. On le voit danser «Dinky Doo» au coin du juke, il y va à coups de ya ya ya. Il adore aussi le jump comme on le constate à l’écoute de «Ain’t You Ashamed», il chante ça à la fritaille, avec du guitar gimmick de luxe. Ah le veinard ! Eddie Bo ne se refuse rien. C’mon Bo ! Il termine avec le morceau titre, qui est un hit du grand Lee Dorsey - Baby you’d better be movin’ on !

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    Autre passage obligé pour tout amateur de New Orleans Sound : Clarence Frogman Henry. Grâce à Ace, on peut se goinfrer en écoutant Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Comme Eddie Bo, Forgman Henry est un artiste complet et assez fascinant, il faut le voir attaquer «Ain’t Got No Home», ce typical jive de juke monté au oh wooh wooh. Il chante ça d’une voix de gonzesse et ça bascule dans le hot kitsch et puis cet enfoiré redescend chercher son meilleur baryton pour créer de l’expressionnisme. On ne trouve pas ce genre d’artiste sous le sabot d’un cheval. Cette compile pullule de petits hits de juke, à commencer par «Cajun Honey», fantastique coup de mon cher ami, aw quel punch, encore une histoire de fille qui rend fou - You’re driving me wild - Tout aussi excitant, voilà «That’s When I Guessed». Il passe au groove de boogaloo avec «Shake Your Money Maker». Frogman sait jiver sa petite affaire. Il nous propose les meilleures conditions du groove. C’est là qu’on danse avec les loops. Avec «Saving My Love For You», il se montre tout simplement extraordinaire de prestance. Un patron blanc dirait de lui : «C’est un bon esclave !». Il tape dans Meaux avec «Think It Over». C’est noyé d’orgue et Frogman sort des grosses mains balladeuses pour tripoter le cul du cut. Effarant ! «Baby Ain’t That Love» semble gravé dans le marbre de l’underground louisianais. Il sait aussi faire du Fatsy. La preuve ? «Cheatin’ Traces». Il tape aussi une cover du «Sea Cruise» de Frankie Ford, mais il la prend trop reggae et ça ne marche pas. On note au fil des cuts l’extraordinaire santé de cette compile. On passe en effet de genre en genre et Frogman suit le mouvement. Quand il tape dans le heavy blues avec «I Can’t Take Another Heartache», ça devient passionnant, car il sait titiller son blues d’un doigt expert. Il traite «Hummin’ A Heartache» à la maturité de bon aloi. C’est un vieux pro. Il sait jiver un jive et chanter du nez. Lorsqu’arrive «It Went To Your Head», le son se modernise considérablement. Attention, c’est encore du Meaux. C’est ultra-joué à la guitare. Joli coup de Tex-mex avec cette reprise de Doug Sahm, «We’ll Take Our Last Walk Tonight». C’est bardé de coups d’harmo et Frogman en fait une merveille élégiaque. Et quand on écoute «You Can Have Her», on se dit qu’on est bien dans ce coup d’Ace. Eh oui, Ace sait tisonner les vieux braseros et créer les conditions de la légende. Une chose est bien certaine, Frogman Henry en est une. Encore du Meaux avec «Mathilda». Huey P. Meaux s’y connaît en rock motion, aucun doute là-dessus. Frogman tape dans la country avec «In The Jailhouse Now», il gère la chose au mieux des possibilités. Chez Meaux, on ne fait pas n’importe quoi. Quel son ! Voilà ce qui s’appelle une production ! Le heavy groove d’«A Certain Girl» se montre digne de Slim Harpo et cette compile se termine avec «Shock-A-Dilly Alabam» - I was born/ Just across the river/ In a little town - On se trouve une fois plus noyé dans le meilleur groove d’Amérique et il loue les musiciens qui l’accompagnent - Come on Jojo !

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    Puisqu’on dans les passages obligés, en voici un autre : The Dave Barholomew Songbook. The Big Beat. Toujours Ace. On n’imagine pas à quel point Dave Bartholomew fut sollicité en tant qu’auteur. Bien sûr, ça commence par Fatsy, mais tous les grands artistes américains ont tapé dans ses chansons, à commencer par Elvis avec «Witchcraft» (Il jive ça comme un king), Jerry Lee Lewis avec «Hello Josephine» - Hello Josephine/ How doo/ Youuu/ Doooo - Brenda Lee avec «Walking To New Orleans» (Fantastique et juvénile, c’est presque aussi beau que la version de Fatsy) et bien sûr Dave Edmunds avec «I Hear You Knocking» (pur génie, ce Gallois sorti de nulle part qui nous Slim Haponise Bartho). On profite aussi de l’occasion pour réécouter «The Fat Man», vieux coup de ramdam de piano drive. On peut même parler de beat des origines. Là mon gars, tu es aux sources du rock avec ce petit gros qui pianote comme un dingue. Il ventricule son beat à l’orée du bois. Laisse tomber les autres, c’est Fatsy qu’il te faut. Shirley & Lee, c’est du même acabeat. Avec «I’m Gone», on a le duo le plus sexy de toute l’histoire du rock. C’est elle, la reine du groove juvénile, elle dégouline de génie purulent. Dans cet enfer, le pauvre Lee tente de faire surface, mais c’est elle la coche qui ouuuh-ouuuhte le babïïï. Elle est perçante, elle chante du ventre, elle est la source du rock, la pure source de tout le sexe du rock. Prodigieux ! Tiens, encore une folle de la Nouvelle Orleans : Annie Laure, avec «3x7=21». Elle tape ça au gospel batch, elle jazze son dam doo leum dah bam bam et là tu as Ella, tu as aussi Miles qui vient schtroumpher du solo de wah dans l’ombilic des limbes. Ces gens sont sublimes. Tout aussi dévastateur, voilà Smiley Lewis avec «Down The Road». Ah t’as voulu voir Vesoul ? Alors voilà Smiley. Il joue comme une brute. Il chante au gras du yes I’m gone et le solo de sax sonne comme une pétaudière. On a là un extraordinaire drive de New Orleans Sound. Smiley chante comme un démon, yes I’m gone, il défonce la rondelle des annales. Tout aussi explosif, voilà «Ain’t Gonna Do It» des Pelicans. Ils jouent ça à l’énergie concomitante, c’est un délire de good time music. Mais qui ira écouter les Pelicans ? On ne connaît même pas leur existence. Par contre on connaît celle du Johnny Burnette Trio qui tape une belle cover d’«All By Myself». Évidemment, ils claquent ça au jive de rockab de fière allure. On trouve aussi l’un des tout premiers rockers d’Amérique sur cette compile : Roy Brown, qui explose «Let The Four Winds Blow» - Have you heard the news - Quelle énergie ! C’est battu à la diable. Ce shuffle énergétique n’existe nulle part ailleurs. Encore un autre roi du shuffle : Bobby Mitchell avec «I’m Gonna Be A Wheel Someday». C’est joué à l’extrême des possibilités. Rien d’aussi jivé de la ciboulette que ce truc-là. D’autres merveilles impitoyables guettent l’imprudent voyageur : «Everynight About This Time» par les Fabulous Upsetters, ou encore l’implacable «Blue Moday» repris par Georgie Fame. Et combien d’autres encore ? Il faudrait s’étendre sur Keith Powell, Tami Lynn ou encore Bobby Charles. C’est vrai qu’on n’en finirait plus.

    Le mot de la fin revient à Dr. Ike Padnos, cité par John Broven dans sa bible : «New Orleans rhythm and blues, by mixing in the influence of the territory bands, Louis Jordan, and boogie-woogie piano, kicked off with Roy Brown’s ‘Good Rocking Tonight’ in 1948. Then a year later Fats Domino’s ‘The Fat Man’ helped usher in the birth of rock’n’roll with Earl Palmer laying down a subtle backbeat and Dave Bartholomew’s arrangements of the horns doubling up on top of the rhythm section.»

    Signé : Cazengler, new orléon de Bruxelles

    Wild Magnolias With The New Orleans Project. Polydor 1974

    Wild Magnolias. They Call Us Wild. Barclay 1975

    Bo Dollis & The Wild Magnolias. I’m Back At Carnaval Time. Zensor 1990

    Bo Dollis & The Wild Magnolias. 1313 Hoodoo Street. Aim 1996

    Wild Magnolias. Life Is A Carnival. Metro Blue 1999

    Wild Tchoupitoulas. ST. Antilles 1976

    Wardell Quezergue. Sixteen Smokin’ Soul Senders Vol. 1. Night Train International 2002

    Eddie Bo. Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1956-1962. Ace Records 2015

    Clarence Frogman Henry. Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Ace Records 2015

    The Dave Barholomew Songbook. The Big Beat. Ace Records 2011

    John Broven. Rhythm And Blues In New Orleans. Pelican Publishing 2016

     

    DISARRAY

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Digital Album - 02 / 12 / 2020 )

     

    Les ai vus trois fois en concert. Ce n'est pas un mythe, il fut un temps où l'on pouvait voir des concerts, je vous assure que cela a existé, j'avais chroniqué leur album Encounters, j'ai souvent jeté un œil sur leur FB, ne se passait pas grand-chose, je me doutais que dans leur coin ils devaient trimer et tramer quelque plan secret, et au deuxième jour de décembre ils ont sorti un nouvel album, précédé de quelques clips sur You Tube, un acte de courage, mais ils ont raison c'est au petit matin du deux décembre que les canons ont brisé la glace d'Austerlitz, et fissurer la chape de plomb qui est tombé sur le rock est une louable initiative.

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    La pochette mérite d'être vue. Au début vous souriez, quel besoin d'écrire le nom du groupe en si gros sur la pochette, seraient-ils en pleine crise mégalomaniaque. A croire qu'il n'existe qu'eux dans ce bas-monde. Faut scruter l'ocre-orangé pour visualiser la vestale en ses voiles blancs qui va de l'avant les yeux bandés. Son pied-nu frôle la pierre usée d'un porche, serait-ce l'entrée d'un temple abandonné. Derrière elle l'orée d'une forêt embrumée, peut-être simplement un parc déserté, en tout cas, un sentiment de solitude, ambiance romantique, l'on songe aux somptueuses et mélancoliques proses de Chateaubriand et l'on se dit que si le nom du groupe voile la photo de la couverture, ce n'est pas du tout une naïve manifestation de fierté mal-placée mais une mise en situation de l'auditeur, ne sommes-nous pas des aveugles qui marchons dans la vie sans rien savoir de très précis de là où l'on va, même si l'on associe l'idée de mort à la plus néfaste et angoissante noirceur... D'ailleurs le premier titre n'est guère encourageant...

    Black hole : étrange il y a de la musique mais la voix d'Alexandre est si prenante qu'il vous capte et que vous n'entendez qu'elle, s'il y a un trou noir c'est elle dans laquelle vous vous engloutissez, rassurez-vous nous ne sommes ni dans l'espace ni dans la guerre des étoiles, la cavité ombreuse qui vous emporte est à l'intérieur, maintenant vous pouvez entendre le ruissellement du métal, une pluie qui claque et qui lave, vous enferme dans un cocon, car si la désolation est au-dedans de vous, la lumière aussi, il suffit d'oser le voyage de ne pas se perdre dans les mers de noire solitude, juste un passage, un étroit et immense boyau, un tunnel sans fin dont vous finirez par joindre le bout. Superbe intro, une espèce de récitatif sauvage, un rugissement sans fin de lion. Burried memories : harmonieuses glissades, les guitares ont l'air de s'enfuir, comme un relent de fête, mais cela ne dure pas, l'épreuve ne fait que commencer, une espèce de jeu-vidéo, une partie que vous n'avez pas le droit de perdre, l'ennemi est le plus terrible qui soit, vous n'en rencontrerez jamais de pire, vous le connaissez bien, est-ce pour cette raison que cette piste est une épilepsie joyeuse, renforcée par le chœur des voix, hachée par Alexandre, l'alien est en vous, vous êtes l'alien de vous-même, une bête sombre qui vous hante et qui surgit la nuit pour vous attaquer. Une course-poursuite, une chute sans fin à l'intérieur de vous-même, le morceau s'arrête brusquement, avez-vous touché le fond, allez-vous être enseveli sous des morceaux de vous qui tombent sur vous...

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    Invincible : tambourinades, bruits de forges titanesques, je suis un peu comme ces martiens de la guerre des mondes d'H. G. Wells qui se réparaient eux-mêmes après avoir été touchés par les obus et les torpilles, la plus grande violence est en moi, morceau tornade, morceau limite, de mes défaites je construirai mes victoires, ma vie sera une tour érigée pour détruire l'univers, ce qui m'a tué m'a rendu plus fort que la mort, plus fort que la trahison. Un vent de haine et d'allégresse souffle dans les voiles de la vengeance. Oblivion : tout va trop vite, kaos dans la tête, sont-ce des rêves ou des claquements de metal qui s'échappent, la voix d'Alexandre déchire les certitudes, des chœurs venus d'ailleurs creusent des espaces immenses comme des cathédrales stellaires, l'on ne sait plus si l'on est dans un film de science-fiction ou dans soi-même, la vitesse exponentielle du déluge musical ne vous aide pas à garder vos idées claires. Gold : Axel ouvre le vocal mais Alexandre l'éventre, l'or scintille et corrompt, ne reste qu'à le rejeter, qu'à le maudire, et à abandonner ceux qui l'utilisent comme monnaie d'échange, un cri de colère et de dégoût, le groupe devient fracas hurlant, une hystérie musicale, ne s'agit-il pas de détruire la société. (S)Hell : la musique ronronne, ce n'est pas un chat mais une bête hideuse qui s'éveille dans la gorge d'Alexandre, c'est le démon du bien, celui qui promet de tout recommencer, générique de film à gros budget et multitudes de figurants, grandiloquence des grands sentiments, les promesses n'engagent-elles que ceux qui les croient, l'œuf dans le nid que l'oiseau couve n'est-il pas celui d'un serpent. Brisez la coquille, vous entendrez l'enfer.

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    To the bone : très rock, un cri de haine, l'envie de cracher sur sa gueule, les chœurs comme des oiseaux moqueurs et le vocal tel un procureur qui condamne et maudit, tu ne fais plus partie du clan, les mots claquent comme les lanières d'un fouet. Damnation, retranchement définitif de la communauté humaine. Lost : il existe sur YT une magnifique vidéo verticale oppressante à souhait. Pas d'attente, musique concassée un peu à la manière de Linkin Park . Sans appel. Sans rappel. Le constat froid et glacé de l'échec de la civilisation humaine. Quelques survivants qui errent sans but. Danny Louzon de Nakht est venu en renfort pour bazooker le vocal sans rémission. Des éclats de haine retournée envers soi-même. Un monde et une musique sans résilience. Même pas le no future, juste le no tout court. Un non-avenir qui fait froid dans le dos. Une explosion désatomisée. By any means : très belle vidéo verticale à regarder en vis-à-vis de la précédente, elles forment un véritable diptyque. Après la perdition, l'apaisement, la possibilité d'un recommencement, musique plus douce, un orage bienfaisant qui redonne vie. Serait-ce la fin du cauchemar. Etrange comme les éraillements d'Alexandre paraissent dans l'immense vacarme de l'album une berceuse douce et tendre. Addiction : encore un pas en soi-même, un chant de rouille pour avouer la vérité, un bien grand mot pour nommer un souvenir inoubliable, juste un chagrin de rencontre, qui vous a emmené dans les ténèbres intérieures, parfois l'on a l'impression que le metal se fait violon, l'a beau se reprendre tout casser et concasser, rien n'y fait l'addiction est un poison, en eaux troubles, l'addiction est un plaisir. Between You & Me : des cordes comme des perles de rosée. Tout dire, tout vomir, faire le point et le poing, ce que l'on garde et ce que l'on chasse, Alexandre dégueule le vocal, bile noire et bile sanglante, les guitares deviennent les clairons de la victoire, les voix s'éloignent dans le lointain. Fastueuse emphase finale de l'orchestration. Le rideau tombe.

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    Unité rythmique et sonore. Le vocal d'Alexandre est le fil noir qui traverse l'œuvre de part en part. La batterie de Maxime Weber gronde et galope telle une nuée menaçante et dévastatrice. Elle ne faiblit jamais. Il est important d'entrevoir la guitare d'Axel Biodore et la basse de Regan MacGonam en tant que chants lyriques de grande amplitude. Ecouter ce disque c'est entrer dans une immense symphonie vocale qui ne faiblit jamais. Un grand vent qui vous emporte et vous ravage.

    Damie Chad.

     

    LA FIN DU ROCK

    MARC SASTRE

    ( Les fondeurs de briques / Janvier 2021 )

    Rock is dead, titre posthume des Doors publié en 1997, mais enregistré en 1969. De l'eau a coulé sous les ponts depuis. Plus d'un demi-siècle... Et voici que Marc Sastre nous propose ces quatre mots qui tuent, la fin du rock, comme disent les bluesmen, il n'y va pas avec le dos de la spoonfull. Marc Sastre n'est pas un inconnu pour les kr'tntreaders, nous avions chroniqué son Jeffrey Lee Pierce. Aux sources du Gun Club in Kr'tnt 160 du 23 / 10 / 2013. L'on avait beaucoup aimé à tel point que l'on s'était intéressé à deux de ses recueils de poèmes, L'homme percé et Aux bâtards de la grande santé dans notre livraison Kr'tnt 190 du 22 / 05 / 2014.

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    Avis aux amateurs, ceci n'est pas une histoire du rock'n'roll qui se terminerait par de vagues considérations sur l'essoufflement du genre et conclurait sur sa prochaine et rapide extinction. Le livre serait plutôt à ranger parmi les essais éthiopathiques. La disparition du rock n'est pas une fin en soi. Si vous désirez savoir pourquoi le rock est mortel, il est d'abord nécessaire de savoir pourquoi le rock existe. Tout phénomène nécessite la cause qui l'a engendré dixit Aristote, le rock'n'roll n'est pas l'exception qui confirme la règle. Encore faut-il s'interroger sur la notion du pourquoi dont émane un parfum trop eschatologique, qui tendrait à faire accroire que le rock'n'roll est apparu pour sauver le monde. Très prudemment Marc Sastre se contente de réfléchir sur les circonstances qui ont permis au rock'n'roll de se déployer, restons terre à terre, remplaçons l'élucidation du pourquoi par l'interrogation du comment.

    Question de méthode. Tout de suite l'on se heurte à un grave problème. Même si l'on part du pire, du principe que le rock est à deux pas de sa tombe, qu'il est moribond, qu'il n'en a plus pour très longtemps, il n'en empêche pas moins que le rock n'étant pas encore tout à fait mort, il est encore vivant, étudier un phénomène dont on fait partie, dont on est encore partie prenante, et en dresser son certificat de décès est chose impossible, celui qui dit en ses derniers instants je meurs sur son lit d'hôpital au milieu de multiples perfusions est encore en vie même si l'annonce s'avèrera très vite avoir été prophétique... Marc Sastre réussit à contourner – et c'est en cela que réside la force de son livre qui n'excède pas cent pages – cet obstacle épistémologique. Pour annoncer la mort du rock, vous pouvez garder un pied à l'intérieur du rock si cela vous chante – en fait parce que vous êtes incapable de faire autrement - mais il faut avant tout s'en extraire, s'en libérer.

    Le rock n'est pas né de la Sainte Vierge, il est le fils utérin de la domination marchande du monde. Ce n'est pas un hasard si l'opuscule débute non pas dans un champ de coton mais à la Renaissance, à ce moment conceptuel précis où la technique permet à l'homme occidental de se rendre maître de sa planète, encore moins si ce premier chapitre a pour titre : à la croisée des chemins le diable conduisait une Ford T, laissez le Diable se dépatouiller avec Robert Johnson, concentrez-vous davantage sur la voiture, un instrument de libération clamera-t-on dans les années soixante, car l'on est toujours séduit par les riches couleurs du serpent dont vous êtes mordu. Heidegger vous énonce la même chose mais il ne parle pas de l'encombrant reptile, il laisse le dangereux ouroboros à Nietzsche, mais ceci est une autre histoire. Enfin si l'on veut car l'histoire de la fin de la philosophie ressemble étrangement à celle de la fin du rock'n'roll, celui qui l'annonce y est encore empêtré en plein dedans.

    Chacun a son anecdote croustillante à raconter, pour Marc Sastre il met en scène The Clash, un groupe qui pour moi ne vaut pas tripette mais chacun de nous possède ses propres histoires d'amour-haine bien plus véridiques que celles de tous les autres... Arrachons-nous les paillettes exaltantes de nos yeux exaltés, le rock'n'roll a partie liée avec quelque chose qui nous dépasse tous, la domination économique du capitalisme productiviste – comme par hasard c'est en ces années-là que le rock'n'roll est le plus imaginatif, le plus créatif - et  puis libéral, la finance coupe les vivres à la production – le rock s'étiole, s'éparpille, le serpent se mord la queue – c'est le moment idéal de sortir le couplet idéal que tout le monde attend.

    Le rock est une musique de révoltés. De laissés pour compte. De ceux qui ont refusé de pactiser avec le Capital – à moins que ce ne soit cette hydre tentaculaire qui ait négligé de leur glisser le minimum vital – le pire c'est que c'est vrai et totalement faux. Certes, le blues, le rock, le rap sont à l'origine des musiques mises au point par des couches délaissées de la population. Ces premiers de corvées – et encore souvent ils se contentent de claquer du bec la bouche ouverte car il n'y a pas de travail pour tout le monde, car le travail est la seule richesse des pauvres et il n'est pas bon qu'elle soit partagée entre tous – sont les véritables héros du rock'n'roll.

    Tu parles Charles. Tu n'as jamais entendu parler du grand retournement. Ah ! mes cocos vous aimez le rock, souriez vous êtes filmés ( soyez modernes faites des selfies ) vous voulez du rock, l'on va vous en vendre du rock, du beau, du bon, du gras, tous les styles, tout ce que vous voulez – cela s'appelle diviser pour mieux régner – nous aussi on a lu Marx, la marchandise on va vous la fétichiser à outrance, vous allez connaître non pas la malédiction mais l'addiction ( ce qui est beaucoup plus diabolique ). La porte des élus sera étroite, pour des milliardaires comme des Stones combien de crève-la-faim, non ne les plaignez pas, ils possèdent quelque chose de bien plus précieux que les grosses liasses de bank-notes, ils ont le rêve dans leur tête dont ils ne veulent pas se défaire, dont ils refuseront de se départir d'une seule miette. Etrangement cette musique de laissés-pour-compte aide à les maintenir dans leur dépendance, le rock'n'roll participe d'une démarche oppressive, réactionnaire, conservatrice, anti-révolutionnaire. Tout ce que vous inventez, tous vos crans d'arrêt, on vous les rend, on vous les vend, en plaqué-or, armes émoussées que vous brandissez fièrement et retournez contre vous.

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    O. K man Sastre, tu parles d'or et tu causes de toc, mais le rock dans tout ça ? Je vous rassure, le rock ce n'est pas qu'il ne connaît pas, il en jacte en mec qui en a fait la colonne vertébrale de son implantation dans le monde. Et le livre regorge de magnifiques évocations, ce mec sent le rock, il est son propre sang, il l'a fait sien, ou plutôt c'est le contraire c'est le rock'n'roll qui a donné un sens à son existence et permis d'accéder à une vie plus pleine, plus riche, plus enthousiaste. D'où cette inquiétude devant ce recul du rock dans la culture contemporaine. Sans doute un jour qualifierons-t-on le moment historique que nous vivons comme celui de la recul-ture, un truc encore pire que le no future des punks car il n'y a pas que le rock qui recule, de nouveaux âges d'obscurité se mettent doucement en place.

    N'est pas vraiment optimiste le Sastre. Le sastrisme est encore plus décourageant que le sartrisme. S'en tire par la consolation du pauvre. Certes le rock est mort, certes nous n'y pouvons rien, certes c'est foutu, mais au moins nous avons eu la chance d'être une génération à qui le rock a permis de partager la table des Olympiens, le beggar's banquet nous y avons accédé et cela personne ne nous l'enlèvera. Il suffisait de tendre l'oreille et de se servir. Que ceux qui n'y ont pas pensé ne s'en prennent qu'à eux-mêmes. Quant à nous, nous ressemblons un peu à ces soldats d'Alexandre qui l'aventure finie rentrèrent chez eux la tête pleine d'un rêve qu'ils avaient eux-mêmes forgé mais qui maintenant leur échappait et qui était bel et bien terminé. Ils ont pu le raconter à leurs petits-enfants mais qui aujourd'hui se souvient de leurs récits à part les livres d'histoire... dont tout le monde se fout...

    Et pourtant quelques pages avant ses derniers mots Marc Sastre nous parle du futur du rock. Ce n'est pas du tout ce qu'il dit. Il se contente d'en relater les derniers soubresauts, les derniers obsédés du rock qui montent des labels, forment des groupes, qui organisent des tournées qui ouvrent leurs bars pour les concerts, qui écrivent des livres et des blogues, bref tous ceux qui se démènent pour entretenir la flamme avant qu'elle ne s'éteigne... le dernier carré à Waterloo qui meurt et ne se rend pas.

    Z'oui il y a des malchances que ça se termine ainsi, mais il y a une autre manière d'entrevoir le feu qui couve. La situation est-elle désespérée ? Oui mais pas plus et même moins qu'elle ne l'était lorsque les premiers bluesmen tendaient des cordes sur les planches de leur baraque pour produire la bourrasque des sons qui exprimeraient leur mal-être et leur révolte. Le monstre qu'ils ont produit leur a échappé, d'autres s'en sont gavés, l'ont retenu prisonnier à l'aide de chaînes d'or, et ont fini par l'abattre, mais ses bâtards et son esprit courent encore. La mauvaise herbe repousse toujours.

    Un spectre hante le monde. Il se nomme rock'n'roll.

    Un beau bouquin qui parle de la mort du rock pour l'aider à vivre et à revivre.

    Damie Chad.

     

    ANIMALS / 1964 ( I )

    L'année 1964 sera faste pour les Animals, une rencontre déterminante, celle de Mickie Most, pour rester dans l'étroit périmètre de Kr'tnt relisez dans la kronic 495 ( du 28 / 01 / 2021 ) du Cat Zengler consacrée à Ron Wood tout le bien qu'il dit sur Truth et Beck Ola du Jeff Beck Group, apprenez-le par cœur pour plus tard le réciter à vos petits-enfants et concluez pour chaque album par la formule : produit par Mickie Most. Cela servira à leur élévation morale. Brjeff, suffit pas d'avoir des musiciens doués, si c'est un glandu qui s'agite derrière la console, il vous manquera le son, et sans son que ferait Delilah ! Pour ceux qui veulent tout savoir sur Mickie Most, le Cat Zengler vous a préparé exprès pour vous un topo au top à lire sur Kr'tnt ! 434 du 17 / 10 / 2018.

    MARS 64

    Baby let me you take home : ce n'est pas une vieille reprise de blues, je pense que Most a dû suggérer ce morceau écrit par Bert Russel Berns – lui aussi producteur qui forma Bang Record avec Jerry Wexler – et Wess Farrell qui travailla avec Russel. C'est quoi au juste : une chansonnette de rien du tout, fleur bleue et tout ce que l'on déteste, mais gravée dans le marbre. Rien à enlever et rien à ajouter. Les plans se succèdent à une vitesse diabolique, un clavier gentillet qui joue le rôle de l'orgue de barbarie dans les chansons sentimentales, Price a compris que point trop n'en faut, se faire voir et se faire désirer sont les deux mamelles du rock, ce qui signifie qu'il est urgent de se faire oublier de temps en temps, le morceau n'excédant pas les trois minutes notre organiste n'est pas tout à fait en cellule d'isolement, Burdon se charge de tous les rôles, du garçon qui presse, de la fille qui attend qu'il se taise enfin pour dire oui, et du mec romantique qui tire sa tirade ( parlée ) de ( fausse ) passion racinienne, et les trois autres que leur reste-t-il à faire, les jolis chœurs, moqueurs qui tiennent la chandelle pendant que le copain décharge. Une véritable comédie de mœurs juvéniles. Gonna send you to the Walker : un de ces vieux traditionnels arrangés et trafiqués par beaucoup de monde. Vous changez les titres et un peu les paroles et vous créditez de votre nom, ici elle est aussi signée des deux précédents. Ce qui est certain c'est qu'elle ne se retrouve pas tout à fait par hasard chez les Animals après que Dylan l'ait enregistré sur son premier disque. Influence Chuck Berry certaine dans le traitement du morceau. Même départ, mais deux fusées intergalactiques peuvent avoir été tirées du même pas de tir sans que les espaces qu'elles visiteront soient les mêmes. C'est sûr que vous avez deux petits soli de guitare de Valentine mais le premier s'amourache de l'orgue de Price et cela change la donne, Burdon vous dégobille le vocal à la torpille, si vous aimez les albums Où est Charlie ? je vous propose une nouvelle version Où est Chas ? pour ma part j'ai envie de répondre que je comprends pourquoi les Doors se sont passés de bassiste, doit quand même contribuer à la noirceur du son des Animals, je me demande si parfois sa piste n'est pas overdubée par l'orgue ce qui contribue à sa prééminence... Walker où le guy renvoie sa poupée qui ne s'habitue pas à la grande ville étant tout près de Newcastle l'on peut se demander si le morceau n'est pas une parodie des vieux south blues...

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    JUIN 64

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    The house of the rising sun : la première fois que je l'ai entendue c'était par Johnny Hallyday, paroles d'Huges Aufray, Alan Price à l'orgue, et les Animals quand et par qui l'ont-ils écouté la première fois... sur l'origine de la chanson jeu concours : cherchez la chronique dans Kr'tnt !, il est logique de penser que Burdon grand connaisseur de blues devait connaître certains des premiers enregistrements, toutefois il à remarquer que si Baby let me to take you at home est en piste 2 de la face B de l'Album Bob Dylan en tant que Baby let me follow down il est immédiatement suivi, en piste 3, sur ce même 33 T de The house of the rising sun, d'après moi c'est ce que l'on appelle un hasard significatif... C'est bien l'arrangement de Dylan et de Dave Van Ronk à qui le Bob l'avait '' emprunté'' que reprennent les Animals. Ce morceau hissa les Animals au pinacle du rock'n'roll, il fit leur gloire, il les expédia directly dans le heartbeat des fans de l'époque au même niveau que les Rolling Stones et les Beatles. Il fut aussi la première fêlure qui brisa l'unité du combo. J'étais jeune et pas trop bête, je me disais, l'est attribué à Price ce ne peut pas être Alan Price, l'est bien sympathique mais il n'a pas la carrure pour écrire cela ( le fameux flair du rocker ), j'ai cherché, me suis creusé la tête pour finir par l'attribuer à Lloyd Price, résultat j'ai cherché vainement durant des années The house of the rising sun par Lloyd Price sans jamais la trouver... mauvaise piste. Une erreur fatale que ne commit pas Alan Price, crédita le traditionnel à son nom. Il oublia bêtement de rajouter les quatre autres copains... qui ne le lui pardonnèrent jamais. Le ver était dans le fruit mais Price a dû penser que le fruit était autour du ver... on ne commente pas un tel morceau, c'est sur celui-ci que l'on entend Chas un max... la voix de Burdon est magnifique, quant à l'orgue de Price il puise dans les racines du gospel... D'ailleurs le premier morceau de la face B de Bob Dylan, s'intitule Gospel Plow ( voir la version de Chance McCoy And the Apallachian String Band )... Talkin' 'bout you : ne pas confondre avec le Talking about you de Chuck Berry, l'adaptation provient de Ray(on de soleil noir ) Charles quand on sait d'où procède Ray Charles l'on ne s'étonne pas que le morceau sonne méchamment gospel, sans surprise quand on a le début l'on sait comment cela se terminera sept minutes plus tard, l'orgue court comme l'aiguille des secondes au cadran de la montre pas du tout arrêtée, l'on pourrait s'ennuyer mais Burdon est si imaginatif qu'il vous entraîne dans un tourbillon sans fin, et les chœurs derrière miaulent comme des chats amoureux sur les toits les nuits de pleine lune.

    SEPTEMBRE 64

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    I'm crying : enfin un original, Price et Burdon ont mouillé la chemise, résultat un must, Hilton hausse le ton de sa guitare et ça défile à la vitesse d'un troupeau de mustangs qui galopent pour échapper à un feu de prairie, un superbe morceau refermé sur lui-même comme une sphère parménidienne, Burdon s'impose comme l'un des plus grands vocalistes rock, mais le plus terrible ce sont ces chœurs masculins échappés d'une représentation de l'Agamemnon d'Eschyle qui ont la même force dramatique que les trois coups du destin dans la symphonie du destin brisé de Beethoven... Eddy Mitchell en a donné une version qui n'est pas à dédaigner, même les lyrics sont moins passe-partout que ceux de Burdon. Take it easy : encore écrit par le duo Price-Burdon, je n'appelle pas cela une création, plutôt une imitation de ce qui existait avant eux, une espèce de décalcomanie de leurs inspirations, vous avez le droit de penser que je cherche des poils sur les œufs pondus par les Animals surtout que c'est méchamment mis en boîte, le Mickie Most il devait être horloger suisse dans une autre vie. Nos deux compositeurs ne se sont pas oubliés, occupent toute la place, mais Mickie Most a su faire sonner l'heure à la batterie de Steel et vous a ménagé pour Hilton le quart de minute dont chaque soliste a besoin pour être célèbre. L'ensemble souffre de sa juxtaposition avec I'm cryin'

    Nous les avons écoutés, regardons-les :

    The house of the rising sun :

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    Décor de studio, des espèces d'éléments de croix blanches de pierres tombales  appuyées sur une cloison que la lumière des projecteurs rend jaunâtre, la caméra se déplace de droite à gauche, voici Alan Price assis devant son orgue, mince comme une table à repasser, l'on se demande comment il peut tirer de cet étui à mitraillette un telle amplitude sonore, sous les manches des guitares l'on aperçoit au fond et au faux centre de l'image le haut de la batterie de John Steel légèrement positionné de guingois, impressionnante la carrure de Chas Chandler bouche le fond du décor, devant lui Hilton Valentine avec son air sage et sa Fender et devant Hilton Eric Burdon – pas vraiment beau, ne rallumons pas la Guerre de Cent Ans, disons une beauté anglaise – sont rangés tous les trois en escalier, portent tous un complet marron-gris qui ne laisse dépasser que le col jaune de leur chemise. Sont affublés d'une cravate noire. Le décorateur aurait-il compris que The house of the rising sun désignait la dernière demeure des cimetières ? C'était la vue d'ensemble. Attention une chorégraphie, les trois ostrogoths debout défilent devant nous, dévoilant pleine vue l'entier attirail de John Steet et Alan et son joujou. Voici à l'extrême droite la tête de Burdon, peau acnéique, qui d'un lugubre appel met en garde toutes les mothers du monde, il baisse la tête et ses beuglements vous filent le frisson filandreux, la caméra tourne et l'on se rend compte que les planches blanches symbolisent les barreaux d'une cage dans laquelle ils sont prisonniers, preuve que décorateur avait intuité juste, et que nos trois zigotos ne se livrent pas à une chorégraphie de centre aéré mais qu'ils tournent en rond dans leur cellule, Steel bat le beurre en mâchant un chewing gum de façon peu ragoûtante, Burdon vous ouvre la bouche avant que le dentiste ne lui arrache ses dents de sagesse, mains de Price avec la gourmette en argent au poignet droit, Hilton vous adresse son meilleur sourire hypocrite, l'est manifestement content que ça se termine ( on achève bien les Animals ), s'inclinent tous respectueusement.

    I'm cryin'

    Dans le temps traînait sur le net une espèce de réplique de la précédente. Nos Animals y interprétaient en playback I' m cryin, restaient sagement alignés comme des I jaunes ( Rimbaud affirma en un poème célèbre que le I était rouge mais les historiens ont prouvé n'avait jamais vu cette vidéo ). Etaient revêtus d'un magnifique costume bouton d'or éblouissant, pourquoi les Animals ne seraient-ils pas des canaris après tout, je ne l'ai pas retrouvée, hélas. Il existe tout un tas de versions plus ou moins live de ce morceau, question ethnologique privilégiez leur premier passage au

    Sullivan Show, le 18 octobre 1964

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    Le décor est un peu chiche, un fond de baraque de loterie de fête foraine agrémentée d'un arc d'ampoules électriques colorées – rappelons que l'image est en noir et blanc, enfin en grisâtres inexpressifs – mais l'on entend la foule invisible qui crie et surtout l'on voit : John Steel surélevé sur son podium, Alan au niveau de la médaille d'argent sur sa gauche et devant plantés comme des piquets de tomates les trois autres. Le morceau n'est pas commencé que déjà ils ouvrent leurs râteliers aussi larges que des bouches d'égout et l'ouragan vocal vous surprend en pleine campagne, vous expédient le choral comme un tapis de bombes sur un village innocent, z'ont les yeux qui pétillent de joie, Steel est un peu inquiétant ne se préoccupe que de sa cymbale, un gosse autiste qui joue pendant des heures avec l'emballage du cadeau que sa grand-mère lui a offert, Chas est à la fête, il balance tout heureux sa stature de géant, l'est sûr que les filles ne peuvent pas ignorer sa présence virile, le plus rigolo c'est Eric, il a une façon d'allonger le cou comme une girafe chaque fois qu'il s'approche du micro, et puis sur la fin il roule les épaules avec ce regard en biais de boxeur qui va vous décrocher le knocked out dans la seconde qui suit, tiens il se tient l'épigastre gauche d'une manière luxurieuse, l'Alan a l'air pour une fois plus préoccupé par sa participation à la chorale démoniaque que par sa machine à touches, n'y a que l'Hilton qui semble se souvenir qu'il est là pour jouer de la musique encore qu'il n'oublie pas d'ouvrir sa bouche aussi large que l'entonnoir d'un mégaphone. Normalement ils devraient être tristes puisque la chanson veut qu' ils pleurent, mais l'on devrait conseiller cette bobine à tous les dépressifs. Z'ont l'air tellement heureux que c'est plus que jouissif, réjouissif.

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    Damie Chad. A suivre.

     

    XX

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Sont tous à la poursuite de Molossa et de Molossito, Charline et Charlotte en leur maillot rose, l'adjudant qui les suit de près, soldat Pierre, soldat Marc qui comme tout soldat du rang qui se respecte sont prêts à suivre leur chef jusqu'à la mort, et une dizaine de fusiliers-marins qui gardaient le poste de garde de l'entrée qui ont suivi le mouvement par réflexe, commettant une première erreur, celle de laisser la grande porte d'entrée du palais ouverte, et une deuxième qui pourrait leur valoir le conseil de guerre, le portail de la cour d'honneur béant aux quatre vents, ceci est juste une expression parce que pas un souffle d'air ne trouble l'atmosphère du petit matin.

      • Droit dedans !

    Je n'ai pas attendu l'ordre du Chef pour commencer la manœuvre, avec la sureté et l'élégance d'un pilote professionnel, je pose l'appareil et coupe les gaz.

      • Nous ne pouvions trouver circonstances plus favorables, déclare le Chef en retirant de sous son siège une mallette de fer-blanc, les filles et les chiens ont été formidables, j'avais escompté entrer en force, mais la voie est ouverte !

      • Attention hurle Vince, une grosse bagnole passe le portail, suivie d'une autre!

    En six secondes c'est une dizaine de voitures qui entourent notre appareil, elles ne sont pas totalement arrêtées qu'en surgissent une quarantaine d'individus ( mâles et femelles ) passablement excités qui se ruent sur nous en criant et en nous tendant un carton à bout de bras. Les logos sur les voitures, les caméras et les micros sont explicites, BFM TV, Europe 1, France Inter, Antenne 2, Match... des journalistes !

      • Mesdames, Messieurs – la voix onctueuse du Chef s'élève et comme par miracle le silence s'installe – service de Sécurité de L'Elysée, que puis-je pour vous, s'il vous plaît si un seul d'entre vous pouvait formuler votre requête, cela nous permettrait d'avancer plus vite !

      • C'est très simple, une jolie petite brunette a pris la parole, nous avons reçu une convocation de la Présidence de la République pour participer au point presse, qui suivra la réunion secrète sur la pandémie Coronado-virus que tient actuellement le Haut Conseil de Surveillance en présence du Président de la République. Il est vrai que nous sommes un peu en avance, mais le portail était ouvert et nous avons cru...

      • Vous avez eu raison. Je vous demande de patienter une petite vingtaine de minutes en compagnie de l'agent de sécurité Vince, je me précipite aux nouvelles avec l'agent Chad, à tout à l'heure.

    Un soupir de satisfaction s'élève de la foule...

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    Molossa et Molossito galopent dans les couloirs, ils ont bien une minute d'avance sur leurs poursuivants, tous deux se cachent sous les tentures de doubles-rideaux qui encadrent une vaste fenêtre face à une large porte capitonnée. Charlotte, Charline, l'adjudant, soldat Pierre, soldat Marc et la douzaine de fusiliers-marins passent devant eux en trombe sans les voir.

      • Crois-en mon flair, Molossito, c'est là-dedans que ça se passe !

      • Oui Molossa, ce serait bien que l'agent Chad soit là, il trouverait le moyen d'entrer lui, il est si intelligent !

      • Tiens le voilà, avec le Chef en plus !

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    Ambiance studieuse. Le Président de la République parle. Tout le monde l'écoute, certains prennent des notes.

      • La situation est grave, des milliers de morts chaque jour, nous avons réussi à détourner la colère de la population en accusant à tort le Service Secret du Rock'n'roll d'avoir répandu le virus en distribuant gratuitement des Coronado sous la Tour Eiffel, le temps que nous arrêtions les deux responsables de cette organisation terroriste et nous...

      • Troudemerdededieu, ouvrez vite, nous les tenons !

    La porte vient de s'ouvrir brutalement, l'Adjudant entre suivi du soldat Pierre qui tient fermement par le bras Charlotte qui porte Molossa, puis du soldat Marc qui tient fermement par le bras Charline qui porte Molossito, suivi du Chef solidement encadré par une dizaine de fusiliers-marins et qui porte précautionneusement sa mallette de fer blanc contre sa poitrine...

      • Clitotrouédelasaintevierge, mon Président, nous avons le Chef, les chiens et deux jeunes innocentes qui se font faites avoir par les paroles doucereuses de ces aigrefins, pour l'agent Chad, d'après moi, il ne doit pas être très loin !

      • Adjudant, vous méritez de la France, et vous le dénommé Chef, l'ignoble empoisonneur du pays, quelles piteuses excuses allez-vous imaginer pour votre défense !

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    Lorsque j'apparais sur le perron je m'attends à entendre des exclamations de soulagement et d'impatience, mais non tous les journalistes sont assis sur les marches et semblent porter une très grande attention aux paroles de Vince.

      • Excusez-moi, mesdames, messieurs le Président vous recevra dans une vingtaine de minutes !

      • Chut ! Taisez-vous ! Laissez-nous donc tranquilles ! Dites au Président que ce n'est pas pressé, qu'il prenne tout son temps ! Il y a tout de même des choses plus graves que les milliers de morts du Coronado-Virus sur cette terre ! Ecoutez plutôt ce que nous raconte l'agent Vince, c'est prodigieux, insensé, incroyable !

      • Oui Messieurs-dames, je vous ai pour le moment évoqué la vie de mon ami Eddie Crescendo, j'en viens maintenant à raconter les derniers jours de sa mystérieuse disparition...

    Je m'éclipse discrètement...

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    Je suis revenu une demi-heure plus tard. L'assistance est atterrée. La petite brunette est en pleurs. Certains appellent nerveusement leur rédacteur en chef sur leur portable. Il y en a même deux qui retiennent une chambre d'hôtel à Nice...

      • Le Président de la République vous fait savoir qu'il a l'honneur de vous recevoir, je vous demanderais le plus grand calme et la plus grande dignité. Nous avons à traverser de longs couloirs, je compte sur vous pour ne pas crier et courir pour arriver les premiers.

    Vince et moi marchons en tête. Tout le monde se déplace avec gravité et componction. L'adjudant nous attend devant la porte

      • Enculédetaracededieu, le Président a dit que les caméras et les appareils photos sont autorisés, en rang par deux, un dernier coup de peigne pour les dames, messieurs rajustez vos nœuds de cravates, et que personne ne moufte sans autorisation, facederatsdedieu !

    Et d'un geste auguste il poussa les deux vantaux matelassés...

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 376 : KR'TNT ! 396 : SHEL TALMY / DON BRYANT / LAZURITE / ACROSS THE DIVIDE / OUT OF MY EYES / REDEEM REVIVE / / ROCKAMBOLESQUES ( 10 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 396

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 12 / 2018

     

    SHEL TALMY / DON BRYANT / LAZURITE

    ACROSS THE DIVIDE / OUT OF MY EYES

    REEDEEM/REVIVE

     

    Talmy ça où ? - Part Two

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    Shel Talmy s’installe dans l’actualité et c’est tant mieux. Il vient d’autoriser l’accès à ses archives. C’est Alec Palao qui se charge de l’inventaire. Pauvre Alec ! Il vient tout simplement d’entrer dans la caverne d’Ali-Baba. Rien n’est plus dangereux pour l’équilibre mental d’un amateur de British beat. Dans Shindig, Alec Palao avoue qu’il est devenu fou. Mais vraiment fou. Il n’a pas l’air de plaisanter :

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    — Jamais vu ça de ma vie ! Jamais ! Vous n’imaginez pas ! Des inédits ! Des bombes ! C’est dingue ! Complètement diiiiiiingue ! Ahhhhhhh c’est diiiiiiiiiiiigue ! Arrrrrrhhhhhhhhhh !

    Et il se roule par terre. Il se redresse péniblement pour gueuler encore une fois :

    — C’est dingue ! Diiiiiiingue ! Complètement diiiiiiiiiiinnnngue !

    Et il replonge dans une crise d’extase carambolique.

    Voici quelques mois, on saluait dans ‘Talmy ça où - Part One’ la parution d’un premier shoot compilatoire intitulé Making Time. Cette fois Alec Palao nous annonce la parution de TROIS nouvelles compiles, covering the beat, the mod/R&B and girl genres. Diiiiiiiiiiiiiiiiingue !

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    Dans l’interview qui accompagne les éructations psychotiques d’Alec Palao, Shel Talmy rappelle qu’il ne comptait pas s’installer en Angleterre, en 1962. Il était en vacances pour quelques semaines. Et quand l’un des journalistes de Shindig fait allusion à son problème de vue, Shel Talmy lui rétorque poliment que ça ne le regarde pas - My eyesight problem is and has always been personal and would appreciate it remaining that way - On appelle ça recadrer poliment.

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    On l’amène forcément à revenir sur l’incident qui a mis fin à sa collaboration avec les Who qu’il avait pourtant lancés : «Lambert et Stamp ont tout simplement déchiré mon contrat. Ils ne savaient pas que j’avais financé les sessions des Who. On avait fait des hits ensemble. Je n’ai jamais eu de problèmes avec les musiciens. Les problèmes viennent toujours des managers.» Kit Lambert voulait produire les Who. Bon alors produis-les, mon gars. Même question concernant les Kinks. Shel Talmy fait à peu près le même genre de réponse : «C’est encore plus simple. Notre contrat arrivait à terme et Ray voulait produire.» Bon alors produis-toi, mon gars. Séparation amicale. Parmi les autres géants de cette terre qu’aida Shel Talmy, on trouve aussi Lemmy, au temps des Rockin’ Vickers : «Ils étaient fantastiques. Ils auraient dû avoir plus de succès.»

     

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    Shel Talmy fonde Planet Records, mais un mauvais arrangement avec Phillips l’oblige à fermer boutique en 1966. Ouf on l’a échappé belle, car on aurait vu pulluler sur nos étagères des milliers de disques supplémentaires. Merci Phillips d’avoir coulé Planet Records. Rusés comme des renards du désert, les journalistes de Shindig font ensuite remarquer à Shel Talmy qu’il était l’un de rares producteurs à laisser les groupes jouer fort en studio. Évidemment, leur répond l’intéressé, puisqu’il cherchait à capturer le feedback - I liked my records to be the most present (okay, loud !) when played - et il ajoute avec un petit sourire en coin : «Call it contained implosion.» (Vous pouvez appeler ça de l’implosion en boîte). Et parmi les loudest de ses clients, Shel Talmy cite les Who et les Creation. Quand il évoque les Easybeats, il raconte qu’ils débarquaient avec des tas de chansons - I didn’t hear a hit until Friday On My Mind - Eh oui, Shel Talmy bosse comme Sam Phillips : «Qu’as-tu à me proposer, mon gars ?» C’est Shel qui shait, pas le groupe. Et ça vaut aussi bien pour les Easybeats que pour Johnny Cash. En clair, ça veut dire que sans Shel Talmy et sans Sam Phillips, pas d’Easybeats ni de Johnny Cash ni de rien de tout.

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    Dans les années soixante-dix, Shel Talmy va aussi travailler avec des gens moins connus, comme Chris White, Fumble ou encore The Sensational Alex Harvey Band. Il garde aussi un bon souvenir des Damned dont il produit «Stretcher Case Baby» et de Rudi Protudi pour lequel il produit l’In Heat des Fuzztones. Il trouvait Rudi ‘interesting’. Quand on lui demande qui sont ses meilleures no-hit productions, Shel Talmy cite en vrac les noms de Chris White, Small Faces, Bowie et Goldie & The Gingerbreads. Et quand ces fins renards de Shindig lui demandent quels sont les hits dont il est le plus fier, il cite en vrac : «You Really Got Me», «My Generation», «Making Time», «Waterloo Sunset», «Friday On My Mind», «Sunny Afternoon», excusez du peu. Puis il ajoute «Summer Song» de Chad & Jeremy et «Light Flight» de Pentangle.

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    Planet Beat grouille aussi de merveilles inconnues. On comprend qu’Alec Palao soit devenu fou. Qui peut résister au killer solo flash que passe Little Jimmy Page dans le «Leave My Kitten Alone» de The First Gear ? Personne. En plus, c’est un first take qui date de 1964. Ce groupe de Doncaster est depuis longtemps retombé dans l’oubli, mais quel panache ! Par sécurité, Shel Talmy prévoyait toujours des pros pour jouer sur les démos destinées aux labels. Pour l’anecdote, le chanteur David Walton raconte que le jour de son arrivée dans le studio, trois musiciens qu’il ne connaissait pas étaient déjà installés : Bobby Graham (drums), Nicky Hopkins (keys) et Jimmy Page. On demanda au batteur et au guitariste de the First Gear de s’asseoir et de regarder. Inutile d’ajouter qu’ils faisaient la gueule. D’ailleurs, le groupe allait splitter peu de temps après. Mais Shel Talmy savait très bien ce qu’il faisait. Sans l’off-the-cuff guitar break de Jimmy Page, le single serait allé nulle part. On retrouve Jimmy Page sur le «Lucy» des Dennisons, une fantastique compo signée Pomus/Shuman. Quel son ! Personne ne se souvient des Dennisons, mais il est important de savoir qu’ils venaient de Liverpool. Tout aussi important : en 1963, Jimmy Page venait de s’acheter une fuzzbox et c’est elle qu’on entend dans le «See You Later Alligator» de Wayne Gibson. Fantastique chanteur que ce Gibson. Il est accompagné par le trio de choc Graham/Hopkins/Page, mais hélas, il ne parviendra pas à percer. Shel Talmy produisit deux singles des Zephyrs. Il chouchoutait ce groupe capable de jouer une pop urgente et pleine d’allant. Dans «There’s Somthing About You», on entend Mike Leave jouer un fantastique solo d’orgue. Avec l’«Everybody Knows» de Sean Buckley & the Breadcrumbs, on entre dans le territoire des grosses énormités poilues. Voilà un cut violent et mal famé, percé en plein cœur d’un killer solo flash de Jimmy Page, bien sûr. C’est du trash anglais à l’état le plus pur. Palao va loin dans le délire érudit, puisqu’il indique que cet «Everybody Knows» est une reprise d’un groupe de Nashville, the James Gang. On reste dans les virulentes énormités avec «I’m Leaving» by The Tribe, pur shoot de primitive r’n’b throwback. Un vrai coup de génie cracra. Comme Brian Jones, The Talismen venaient de Cheltenham et c’est encore Jimmy Page qui vient incendier le primitive beat de «Casting My Spell». Pure démence de la sentence. Par contre, ce n’est pas Jimmy Page qu’on entend jouer dans le «Black Eyes» des Hearts. Il s’agit du fingered Jim Duncombe, l’un des guitaristes les plus évolués de cette époque. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Quel son ! Le «Lonely Man» des Lancastrians est chaudement recommandé aux amateurs de pop miraculeuse, celle d’Ivy League et des Searchers : pur jus de dream pop à l’Anglaise, imbattable. Tiens, encore une belle énormité avec le «Talk To Me Baby» des Rising Sons, un groupe plein d’avenir qui allait devenir les mighty Unit 4+2. Autre groupe légendaire de l’underground Talmyque, voici The Untamed, avec «Kids Take Over», un fantastique slab de Mod jerk de cave joué sous le boisseau d’argent du big Shel. Ça groove encore plus que chez Alan Price, comme si c’était possible ! Le chanteur du groupe s’appelle Lindsay Muir et il faut l’entendre envoyer son anymore ! Anymore ! Tout ce qu’on aime sur cette terre.

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    Alors justement, on retrouve le gratin de Planet Beat sur Planet Mod : The Tribe et The Untamed. À commencer par deux coups du sort signés The Tribe : «Don’t Let It Be» et «The Gamma Goochie». Pur jus de Mod Sound, toute l’agressivité du teenage rampage accourt au rendez-vous. Sur «Don’t Let It Be», la basse dévore tout, crouch crouch, et avec le Goochie, ils sha-ma-la-mina-ouh-wah-ouh-wahtent la baraque à la glotte éraillée, c’est une d’une sauvagerie presque américaine, on croirait entendre les chicanos de Detroit, chikikkikichi ! Fameux ! Les Untamed attaquent leur triplette de Belleville avec «Daddy Longlegs», slab de Mod Sound sorti des soutes de Londonderry et relancé au petit riff acariâtre, ça colle bien à la peau, pas aussi explosif que les Who, mais pas loin. Que de son chez Shel ! Avec «I’m Leaving», les Untamed font le plein de Shel et Lindsay Muir mène le bal au singalong. Avec «I’m Going Out Tonight», on atteint le haut de gamme. Muir chante comme un dieu, yes I am now. C’est lui la star de Planet Mod, il sonne comme un Soul Brother, il swingue sa Soul à l’abattage. S’il faut suivre un groupe, c’est bien les Untamed. Le problème, c’est que tous les groupes qui débarquent chez Shel veulent sonner comme les Who, ce qui est aussi le cas de The New Breed. Ils grattent comme des cons et laissent planer le doute - God was on my side - c’est bien énervé, mais le chanteur n’est pas bon. Par contre, John Lee Hooker ne cherche pas à sonner comme les Who. Il n’est pas surprenant de voir Shel accueillir un géant comme Hooky. C’est du son gagné d’avance.

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    En réalité, l’arrivée d’Hooky en studio à Londres résulte d’un accord passé entre Don Arden et Shel. Don Arden supervisait les tournées des grands artistes américains en Angleterre et organisait parfois des sessions d’enregistrement. On voit bien qu’avec «Mai Lee», Hooky drive son truc. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. C’est sa vie et ça s’entend. Par contre, ce n’est pas Hooky qui chante «Over You Baby» avec John Lee’s Groundhogs, mais ‘John Lee’ Cruickshank, le frangin du bassman Pete. Les Groundhogs nous sortent là du pur jus de club craze, gratté à la spartiate par un Tony McPhee qui ne rêve que d’une chose : revenir au blues. On le retrouve dans «I’ll Never Fall In Love Again». Il y croit dur comme fer, il passe un fabuleux shake de solo en sous-main. On sent naître la légende. Tiens, voilà encore un single extraordinaire : «Take My Trip» de Kenny Miller. Non seulement c’est embarqué au groove de basse, mais en plus, ça sent bon le vieux club privé. Kenny Miller nous chante ça du coin des lèvres. Quelle bonne affaire ! On découvre là un admirable performer et un jive d’une considérable énergie. Autre surprise de taille et d’estoc, «Too Much Of A Woman» par les Corduroys. Très white niggers, énorme présence, pur jus de London Mod Mop de move avec un son de basse dément. Merchi Shel ! C’est lui qui est derrière toute cette modernité, toute cette acuité du son, tout ce punch sonique et tout cet écho blast. Avec «Goodbye Girl», les Preachers sonnent plus classiques mais ils swinguent leur shoot de shit à la vie à la mort, on a même un solo de sax et une bassline à la Chas Chandler, entreprenante et volubile. Un vrai festival ! Comme Shel devait se régaler, avec tous ces one-shots. Ce genre de compile vaut bien une caisse de dynamite. On trouve aussi l’un des combos phares de Shel, Goldie & The Gingerbreads. Mais Goldie ne chante pas sur cet heavy rumble qu’est «The Sky». On voit aussi The Thoughts reprendre le «Pretty Girls» des Easybeats, mais autant écouter les Easybeats. Si on retrouve Screamin’ Jay Hawkins sur Planet Mod, c’est aussi dû à un accord passé entre Shel et Don Arden. Mister Big avait organisé des sessions d’enregistrement à Abbey Road.

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    Ce sont les fameuses Planet Sessions que Shel va éditer un peu plus tard sur l’album The Night And Day Of Screamin’ Jay Hawkins. On y retrouve un Screamin’ Jay moins boogaloo qu’à son habitude, mais sa version de «Stone Crazy» est une pure merveille de Mod jazz. C’est littéralement bardé de son. L’autre grosse surprise de cette compile est le «Life’s Too Good To Waste» de Tony Christie & the Trackers. Une vraie voix. Présence extraordinaire, même si c’est un brin festif. Ce mec chante à la force de la majesté. Il sonne comme un Lord. C’est l’une des grandes gueules de la pop anglaise.

    Signé : Cazengler, Shel et poivre

    Planet Beat. From The Shel Talmy Vaults. Ace Records 2018

    Planet Mod. From The Shel Talmy Vaults. Ace Records 2018

    Anyway Anyhow Anywhere. Shindig # 67 - May 2017

    Brillant Bryant

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    L’impression de voir arriver sur scène une légende vivante ne trompe jamais. On sait peu de choses de Don Bryant mais on sait tout de suite qu’il va faire le show. Après l’instro d’intro des Bo-Keys, une ovation salue l’arrivée de ce vieux pépère noir à cheveux blancs.

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    Assez court sur pattes, il porte une veste à fleurs et lève les bras au ciel pour capter le souffle de l’ovation. Son visage se fend d’un immense sourire. Oh ce n’est pas n’importe quel sourire. Il s’agit du big grin de Soul Man du Deep South, celui qu’on voyait jadis éclater sur les visages ruisselants d’Otis ou d’Al Green.

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    Don Bryant attaque son set d’une voix extraordinairement intacte avec ce vieux hit torride d’O.V. Wright, «A Nickel & A Nail». Il tape ça à l’arrache des géants de la Soul. Comme Sharon Jones, il perpétue la tradition d’une hot Soul sixties, celle qui se danse des hanches et qui rend la vie si belle. Avec Don Bryant, la Soul reprend des couleurs. Le gospel batch remonte à la surface de ses échappées belles, comme chez Ray Charles, et il peut se montrer aussi hargneux que Sam & Dave lorsque le beat palpite sous la ceinture, comme c’est le cas avec «Something About You».

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    Et quel beat, baby ! Cette section rythmique de rêve renvoie forcément au team Al Jackson/Duck Dunn, la dynamo des MGs. Scott Bomar et un fantastique batteur black nommé David Mason drivent si bien le set qu’ils recréent la magie d’un groove qu’on croyait disparu. Avec leurs cuivres, Kirk Smothers et Mark Franklin renforcent encore l’illusion, eh oui, on croirait entendre Wayne Jackson & the Memphis Horns, ils jouent dans l’esprit de surchauffe staxy. C’est un véritable retour aux sources. Fantastique shoot de Soul que cet «One Ain’t Enough», and two two is better, Don Bryant descend dans les tréfonds du groove pour hipper son shake pendant que Scott Bomar digonne impassiblement ses doublettes, dressé comme une statue de sel.

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    Pour les amateurs de Memphis Soul, c’est le paradis sur terre. Don Bryant fait même passer un message avec «Don’t Give Up About Love». Il faut entendre Love au sens universel du terme, bien sûr. Il termine avec un enchaînement de classiques, «Everything’s Gonna Be Alright» et le fameux «Can’t Stand The Rain» d’Ann Peebles. Serrez-lui la main, surtout, il vous transmettra quelque chose d’assez puissant.

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    Pour le situer rapidement, Don Bryant fait partie des survivants de l’âge d’or du big Memphis Soul. Il a travaillé toute sa vie en tant qu’interprète, puis compositeur/producteur avec Willie Mitchell, chez Hi, le deuxième grand label Soul de Memphis, après Stax. Don n’a pas enregistré grand chose, juste deux albums (dont un l’an passé) et une poignée de singles qu’on trouve sur des compiles. Il est aussi le mari d’Ann Peebles, qui fit avec Al Green et Syl Johnson le prestige d’Hi Records.

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    Quand on retourne la pochette de l’album de Don Bryant paru en 2017, Don’t Give Up On Love, on tombe sur un beau portrait de Don Bryant, 76 ans. Il est un peu plus jeune qu’Eddie Floyd (81 ans). Il ressemble aussi beaucoup à Furry Lewis. Évidemment, c’est Robert Gordon qui rédige les liner notes. Aujourd’hui, qui d’autre que ce spécialiste d’Hi et d’Al Green pourrait le faire, maintenant que Dickinson a disparu ? Dans son hommage, Robert Gordon souligne deux choses fondamentales : un, Don chante le gospel dès l’âge de 5 ans au Memphis’ Carnegie Church Of God In Christ et deux, il va chanter plus tard avec Willie Mitchell au Danny’s Inn de West Memphis. Don fut à l’époque le lead du Willie Mitchell Orchestra, le fin du fin. Gordon va très loin dans son approche, puisqu’il indique que Don Bryant ralentit la Soul pour la rendre plus profonde. Il rappelle aussi que Don a lancé Ann Peebles chez Hi, qu’ils ont co-écrit ensemble le smash «Can’t Stand The Rain» en 1973 et qu’ils se sont mariés l’année suivante.

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    Comme le set, l’album Don’t Give Up On Love s’ouvre sur «A Nickel & A Nail», le vieux hit d’O.V. Wright. On comprend immédiatement que Don est un shooter issu du sérail des églises de gospel. Une effrayante machine Soul se met en route. Pur jus d’overdrive, avec une voix de shooter par dessus les toits - My friends Lord/ They just don’t know - Il chante à la vieille arrache. Il peut screamer et s’inscrire à la suite dans le groove. Il enchaîne avec un turbo-r’n’b qui s’appelle «Something About You». Il sonne comme James Brown, à coups d’aïie ! Il faut aller chercher «How Do I Get There» pour renouer avec l’émotion. C’est du gospel d’esclaves. Don enchaîne ça avec «One Ain’t Enough», une superbe dégelée de modern Soul, mais avec la patine du Hi Sound System. Il fait du neuf avec du vieux et ça tourne à l’énormité. Quand il fait de la Deep Southern Soul, il peut être aussi brillant, c’est le cas avec un «First You Cry» qui transperce le cœur du lapin blanc. Il y a quelque chose de l’ordre de la clameur dans sa voix. Il fait du church blast d’origine profane. Il repend aussi l’«I Got To Know» qu’il avait composé pour les Five Royales. Quel extraordinaire Soul man ! Avec «Can’t Hide The Hurt», le Memphis Sound is alive and well, ce grand mélange de Soul et de blues, de raw et de smooth. Il termine avec «What Kind Of Love», vieux coup de r’n’b chanté sous le boisseau. Don Bryant est effarant de présence. Il jerke sa Soul avec une énergie qui en dit long sur sa grandeur d’âme. Robert Gordon résume bien la situation : «It’s completely new with an old soul.» Et il ajoute pince sans rire : «Did you grab your boogie shoes or a handkerchief to wipe away the tears ?» Alors, tu danses ou tu chiales ?

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    Il existe quelques compiles Hi de ses débuts, comme par exemple ce Comin’ On Strong paru en 1992. Le petit conseil qu’on pourrait donner aux becs fins serait de se jeter dessus. C’est excellent. D’abord dix morceaux lents, puis dix hot shoots de r’n’b. Don est jeune quand il chante «I’ll Do The Rest». Il chante sur la pointe des pieds, comme Al Green. On est chez Willie Mitchell, et le son revêt un caractère très particulier. On peut parler d’une énergie du son. «The Lonely Soldier» est torride à souhait, hanté par une guitare fantôme. Don brame sa détresse. Il reste dans le heavy slow pour «The Call Of Distress» et son «I’ll Go Crazy» n’est pas celui de James Brown. On l’entend remonter le courant du slowah comme un saumon du Tennessee. Tout est superbement arrangé, et on imagine aisément que James Hunter a dû beaucoup écouter ce son si particulier. Et pouf, ça se met à chauffer avec «I Like It Like That», admirable pulsion d’Hi. Il enchaîne avec un «My Baby» râpeux et jouissif, gonflé de vie, un vrai jerk de fête foraine. Il tape l’«Everything Is Gonna Be Alright» qu’il reprend aujourd’hui sur scène au Shotgun de Jr Walker. Joli pompage. Puis avec «The Glory Of Love», il fait délibérément du Stax. On note son effarante classe dans «Coming On Strong», chef-d’œuvre de Soul psyché bardé de chœurs géniaux. C’est un son unique au monde. Don sait donner de sa personne comme on le voit avec «Can’t Hide The Hurt». Son r’n’b rampe sous le tapis, sur fond de groove algébrique. Il va de performance en performance. Pas moyen d’échapper à son emprise. Il fait un clin d’œil à Smokey avec une cover de «Shop Around», il la bouffe toute crue. Don finit par prendre le contrôle du Hi Sound System avec «What Are You Doing To My World». Que de puissance dans un seul petit bonhomme !

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    Precious Soul est un album de reprises qui date de 1969. Sur la pochette, Don Bryant ressemble à James Brown. Et tiens toi bien, il y sonne aussi comme James Brown, dont il reprend le «Try Me» - I say you tried James Brown - mais il sonne aussi comme Mr Dynamite sur «Expressway To Your Heart», qui fut un hit pour les Soul Survivors en 1967. Don Bryant y reprend les rênes de la Philly Soul de Gamble & Huff et y screame comme un beau diable. L’album est marrant car il se compose d’une B lente et d’une A dansante, comme les Formidable Rhythm & Blues d’Atlantic. Alors, si on se penche sur le cas de l’A, attention aux yeux ! Dès «She’s Looking Good», Don Bryant sonne les cloches avec une niaque qui vaut bien celle de Wilson Pickett ou encore Sam & Dave. Il est aussi hot and sharp que le bad bad boy Pickett - Looking good/ Just like I knew that you would - Il n’a pas non plus de problème pour retapisser «Soul Man». Il y rivalise d’ardeur pentatonique avec Sam & Dave, il swingue son Sam et il charcle son Dave d’un seul coup de dent, avec toute la niaque surnuméraire de Wicked Pickett. Tiens, puisqu’on parle de Wilson, voilà «Land Of 1000 Dances». Eh oui, Don Bryant tape dans l’intapable, aucun problème, mon gars, on va t’arranger ça, waoouuuuh ! Et Mabon Hodges nous gratte ça si sec. Autre surprise de choc avec une version spectaculaire de «Funky Broadway», une version ultra Hi. Don Bryant y met toute la retenue dont il est capable et ça change la donne. Autre belle reprise de taille : l’excellent «(You’re A) Wonderful One» de Marvin Gaye, monté sur une progression à la High Heel Sneakers. This is a Don Bryant special ! Et Mabon Hadges joue le riff avec l’appétit d’un carnassier. Pur jus d’Hi !

    Signé : Cazengler, Don Brillantine

    Don Bryant. Le 106. Rouen (76). 29 novembre 2018

    Don Bryant. Precious Soul. London Records 1969

    Don Bryant. Comin’ On Strong. Hi Records 1992

    Don Bryant. Don’t Give Up On Love. Fat Possum Records 2017

    02 / 12 / 2018LE MEE-SUR-SEINE

    LE CHAUDRON

    LAZURITE / ACROSS THE DIVIDE

    OUT OF MY EYES / REDEEM/REVIVE

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    Erreur fatale ce jeudi. M. S. T. à Fontainebleau. Je ne connais point, mais l'ami Jean-Jacques est formel : avec un nom comme ça, ce sont sûrement des punks. Je ne lui donne pas tort. Me suis trompé sur toute la ligne et beaucoup plus grave de ligne. Le shoot de Maladie Sexuellement Transmissible c'était le 21, pas le 29. Ce soir-là, c'était le Trio Celtic Band. Davantage une bande – z'étaient six au coin de la cheminée – qu'un trio, sympathiques avec un joueur de pipeau infatigable, et un organiste pour étoffer le son, j'ai poliment écouté le premier set et j'ai dégagé en râlant. Je l'avoue bêtement, j'ai des préventions folk, je le trouve trop bavard. Le reste de la semaine coincé par d'autres convulsions à voir trente six mille étoiles, plus une, située à la perpendiculaire parisienne. Bref pas de concert, cette semaine. Une malédiction, les dieux allaient-ils m'abandonner ! Dix neuf heures, Hermès le messager me prévient, le metalcore remet la marmite à vingt heures au Chaudron. Je saute illico dans la teuf-teuf bolide qui bondit comme Jolly Jumper. Rien à dire, je suis lucky.

    Trois groupes plus une exposition photos. De quoi rendre un rocker heureux.

    ART'CORE / LAZURITE

    ( Exposition photographique )

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    Lazurite, les kr'tntreaders connaissent. Souvent elle nous a permis d'illustrer nos chroniques de ces photos, nous les créditons alors sous l'appellation ( de son facebook ) de Mlle Lazurite. Il est facile de rencontrer Mlle Lazurite, vous ne pouvez manquer sa longue chevelure blonde et son appareil photo et la grâce avec laquelle elle virevolte autour des groupes de metalcore qui transitent dans le sud de la Seine & Marne. Elle voltige de tous bords, devant la scène et backstage, elle n'est pas du genre à mitrailler à tout-va, elfe intrépide et bondissant elle sait choisir ses angles d'attaque. Elle donne l'impression de pressentir l'instant décisif où le cliché ne sera pas une simple vue mais l'expression essentialisée de ce moment magique où la chose représentée n'apparaît plus en tant que simple description d'elle-même, mais en tant qu'image-signe qui vous interpelle et vous révèle la profondeur d'une réalité qui vous force à darder votre regard au-delà de la frivolité des apparences.

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    ( photo : Jordan Darey )

    Mlle Lazurite ne prétend à rien. '' Je fais de la photo par passion uniquement, je ne suis pas photographe'' ose-telle dire dans sa présentation. Dans la même optique elle se contente de photographier les groupes qui partagent ou traversent les cantonnements géographiques de son propre lieu de résidence. Dans la série I support my local scene, il est difficile de faire mieux. Les groupes de par ici ne sont pas fous, savent qu'ils ne trouveront jamais meilleure représentation d'eux-mêmes, ils lui demandent souvent de couvrir leurs concerts. Autant la prier de chevaucher le tigre. Il y a une violence et une démesure dans l'esthétique du hardcore. N'importe qui peut prendre une photo – la plupart ne s'en privent pas – mais si vous désirez que les grands fauves en liberté sur leur terrain de chasse s'en viennent manger dans votre main, l'appareil ne suffit pas. Mlle Lazurite possède l'œil orphique, capable de capturer la beauté sauvage du rock'n'roll en pleine liberté.

    L'exposition se compose de vingt-quatre photographies, toutes prises dans différents concerts au Chaudron, ces deux dernières années. Nous-mêmes y avons parfois assisté et les avons-nous chroniqués. Vous en connaissez quelques uns : Anvil, Pogo Car Crash Control, Nakht, FRCTD, Aqme, Beast, Atlantis Chronicle...

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    ( Betraying The Martyrs )

    Il existe au travers du monde des milliers de photographies de concerts de rock. Pour la plupart elles souffrent d'un gros défaut. L'on n'entend pas la musique. Laissons de côté les milliers de vidéos qui dans quatre-vingt dix-neuf pour cent des cas ont une épaisseur sonore indigente. Il ne s'agit pas ici de jouer sur les paradoxes. C'est un vieux problème. Le lecteur curieux se rapportera aux écrits et déclarations théoriques de Stéphane Mallarmé sur la supériorité sonique de la poésie par rapport à l'intumescence orchestrale wagnérienne. De toutes les manières l'on ne peut qualifier une chose que par ce qu'elle n'est pas. Mlle Lazurite excelle en cet art. Le rock est musique, mais le rock est avant tout une attitude. Un art de vivre. De haute flamboyance.

    A première vue et en caricaturant il n'y a que des hommes et des guitares sur ces clichés. Mais cela est pratiquement superfétatoire. Avant tout il y a des postures et des positions. Des postures physiques et des positions métaphysiques. Mlle Lazurite est une fée objectivisante, elle fixe le mouvement dans son surpassement. L'image n'est que le point d'une asymptote proliférante de par son immobilité même dont la prégnance lazuritienne vous permet d'entrevoir l'idéalité de la courbure qui vous mène d'ici à l'ailleurs.

    Je n'en décrirai qu'une. Je ne l'ai pas choisie. Le sort et la fortune en ont décidé ainsi. Tombola à un euro, j'ai hérité de la photographie de Charlotte Aqme, bassiste du groupe Aqme. Qu'y voit-on ? Rien, qu'une guitare et une fille. Deux objets ( dans l'acception philosophique du terme ), cela est amplement suffisant pour susciter le désir de musique et de fusion, le don et l'appel. Représentation d'une bassiste, par sa basse, la table en guise de bouclier protectif et l'effilé du manche en harpon prêt à attaquer le monde. Le metalcore est avant tout une musique agressive. L'on ne voit pas le visage de Charlotte obstrué par ses cheveux, elle n'est plus Charlotte mais Diane Chasseresse, Artémis souveraine, armée de sa guitare carquois, de sa basse flèche. Ses doigts retenus sur le cordier indiquent la précision et la préciosité de la visée. L'image rejoint le mythe, cher à Platon. Reste que la féminité de Charlotte n'en est pas moins affirmée par le bombement de ses seins qui suscite la courbe idéelle de l'arc de sa chair. Mlle Lazurite vous profile l'âme, l'arme et l'acmé de Charlotte et du metalcore par la simple exposition de détails symboliques que son œil a su saisir, et disposer, afin de figurer la signifiance du réel.

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    Autre particularité des photographies de Mlle Lazurite. D'autant plus perceptible dans l'exposition qu'elle permet d'entrevoir beaucoup de clichés en grande dimension en même temps. De fait il n'y a aucune différence de perception entre le traitement du blanc & noir et de la couleur. Cette dernière n'ajoute aucune clinquance. Elle n'aguiche pas le regard, elle refuse de vous sourire. Tout comme son blanc & noir dédaigne de se la jouer dans le genre prétentieux. L'artiste ne cligne pas de l'œil, elle montre le monstre, et cela lui suffit. A vous de savoir voir. Et pourtant, il y a chez Mlle Lazurite des bistres démentiels et des mauves somptuaires. Pratique un filtrage alchimique de haut lignage dont elle garde le secret tout en l'exposant à la vue de tous. Tant pis pour les aveugles.

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    ( Across the divide )

    L'art de Mlle Lazurite procède d'une terrible exigence, celle de révéler la beauté convulsive du rock'n'roll et du metalcore à ceux qui sont dignes de la recevoir. Les photos de Mlle Lazurite palpitent à la manière des bleus intenses et profonds que sont les lapis lazuli qui irradient secrètement au plus fort de la nuit chaotique du monde.

    Damie Chad.

    N.B. : des centaines de photographies sur le FB : Mlle Lazurite. Plus qu'un témoignage, un regard.

    ACROSS THE DIVIDE

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    Sont tous les cinq figés en des poses hiératiques. Maxime Weber, les bras étendus en ailes de palmipède éployées, les jambes écartées de Régis Sainte-Rose dessinent un vaste arc-en-ciel hémisphérique, un sampler lyrico-tonitruant inonde la salle d'une profonde noirceur. Les deux guitaristes Jonathan Lefevre et Axel Biodore sont sur leur piédestal immobiles comme des statues de sel noir. Alexandre Lheritier se saisit de son micro et brutalement la voûte du ciel se fend en deux.

    Emporté, c'est le terme, vous êtes assailli d'une matière noire qui se referme sur vous. Une glue d'une extraordinaire densité dans laquelle vous devez vous frayer un passage. Across The Divide fore le tunnel. Vous n'avez que la voix stentorique d'Alexandre pour vous guider. Aux guitares Jonathan Lefèvre et Axel Biodore répandent de l'opacité mentale qui s'interpénètre en vous et étrangement cette musique brutale à angles droits et coupants devient intellectuelle. Une intelligence autre s'est emparée de votre cerveau et vous avez l'impression que vous pensez mieux, plus vite et plus juste que d'habitude. Une sorte de cocaïne à la puissance mille démultiplie l'acuité de votre perception, vous n'êtes plus vous, petit à petit vous éprouvez cette étrange sensation que vous devenez matière musicale que vous vous amalgamez à ce mur qui vous entoure et vous protège. Mystérieuse schizophrénie qui coagule en une seule coulée de lave sonore ce que vous êtes et ce que vous n'êtes pas.

    Et ces moments de repos, la musique tourne autour de vous comme des pales d'hélicoptères qui chercheraient à vous décapiter, vous aspirez à vous endormir dans ce vrombissement incessant... mais la donne change déjà, la pâte sonore se froisse comme un papier argenté de bonbon empoisonné. Vous n'êtes plus que concassage et marécage. Vous parvenez à vous extraire de vous-même et vos yeux sont happés par la scène, sont là tous les cinq dans leur assourdissance prophétique, le silence règne, ce n'est qu'une illusion, mais le bras de Régis en arrondi au-dessus du manche de sa basse, est-ce Sainte Cécile jouant de la harpe sur l'aile d'un ange ou l'aile blessée d'un albatros que le gouffre amer de la mer tempétueuse se prépare à avaler ? Across The Divide est une invitation aux voyages dans les pays du rêve et des cauchemars.

    Across The Divide déploie les tentures de l'angoisse du minuit. Ce cœur de l'obscurité, cet instant fatidique pendant lequel la nuit qui agonise laisse place à une autre nuitée encore plus longue. Peut-être existe-t-il un interstice, une jointure signe de brisure entre ces deux dalles funèbres, Across The Divide le laisse entendre mais vous pousse en avant, vous indique le passage mais vous interdit de faire halte afin d'en démasquer le système secret d'ouverture. Le son s'enserre autour de vous et s'insère en vous comme un poème funéraire, enfermé dans votre cercueil, il vous faut du temps pour comprendre et encore plus pour admettre que vous êtes en train d'entendre le requiem de vos obsèques. Lorsque la musique s'achève – le set a été somptueusement long – vous vous apercevez que vous êtes vivant. Tout juste si vous ne le regrettez pas. Troisième fois que j'entends le groupe, il a gagné en intensité et en cohésion. Des trois sets, il est celui qui s'est approché le plus d'une certaine idée liturgique de la beauté.

    OUT OF MY EYES

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    Sont tout contents. Viennent en remplacement de Resolve qui s'est désisté. Un batteur, deux guitares et un chanteur. Trois costauds et un petit. Mais dès qu'il a porté le micro à ses lèvres tout le monde a compris qu'il aboyait plus fort que le tonnerre. Pourtant derrière ils en font du bruit, remuent la tourmente bellement, tempête dans le désert et océan en furie. Mais ce n'est rien. Pas pour rien que leur dernier morceau s'appelle Anubis. Corentin Graveiro glapit entre les pyramides et des murailles de pierres s'écroulent sur vous. Même pas le temps de vous en rendre compte, c'est déjà fini. Un extraordinaire show-man qui se fout du spectacle. N'est pas là pour se faire valoir. L'est ici pour emmener le son à son plus haut point d'incandescence. Court partout. Difficile à suivre des yeux et tout à coup sans prévenir, il lui suffit d'un geste pour que tout s'arrête au dixième de seconde près. Ce n'est pas le silence, car les samplers règnent en bruit de fond, mais la rupture est là. Franche, nette sans bavure. Les morceaux ne sont jamais très longs mais quand ils stoppent c'est alors que l'impact déboule sur vous. Jusques à lors vous ne ressentiez que l'onde et maintenant le choc vous démantibule les neurones. Un trente-huit tonnes, freins serrés à mort et roues ancrées dans le goudron, mais que l'énergie cinétique de sa seule masse projette en avant. Un peu comme si l'irradiation atomique de votre volonté s'arrachait de vous et s'enfuyait par vos yeux.

    Corentin vous surprend toujours, jamais là où l'on l'attend mais d'une présence absolue. Porte le blouson et la hargne du rocker prêt à vous enfoncer encore la lame de métal de son cran d'arrêt dans votre moelle épinière pour mieux vous faire comprendre que la vie est une épine empoisonnée dont vous devriez vous méfier. Enchaîne les titres sans perte de temps, Og Gold, Renegade, Addictions, Ritual, laisse le temps à ses acolytes de tisser leur trame de fer. La batterie jouée comme à l'envers, comme s'il s'agissait non pas de sortir le son mais au contraire de l'enterrer, de l'effondrer dans des abysses souterraines sans fond. Le son capté selon une chute tonitruante, le bruit de l'engloutissement de la maison d'Usher à la fin du conte d'Edgar Poe, Out Of My Eyes joue sur l'ampleur focalisatrice du ressassement sonore sur lui-même, le serpent maléfique qui s'enroule sur ses propres anneaux, et Corentin le farfadet à haute voix qui s'en vient tuer le monstre. Le saisit à peines mains et l'étrangle avec le lacet de ses cordes vocales. Ce sont les cruelles meutes perverses d'Hécate qui hurlent au fond de son gosier.

    Rien ne dépasse. Une boule de feu noire refermée sur elle-même. Qui brûle sans flamme apparente. Combustion intérieure. L'ovni venu de nulle part qui se pose dans un champ de marguerites et stérilise la terre entière. Les guitares cisaillent les racines de la vie et aspirent l'oxygène que vous tentez encore d'inhaler, mais il est trop tard, Out Of My Eyes referme ses yeux et la couleur du monde disparaît.

    Un set relativement court, mais ô combien percutant. Genre de groupe qui s'impose par l'estime. Rien à reprocher. Vous laisse muets d'étonnement. Une démonstration. De ce qu'il faut faire si vous voulez parvenir à un maximal de cohérence et de reconnaissance. Séduisant et percutant. Boxe française.

    REDEEM/REVIVE

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    Proviennent de Californie. Une véritable migration, six sur scène. Un drummer, deux chanteurs et trois guitares. Bien sûr qu'il y a un bassiste parmi elles, mais ça ne se voit pas et ça ne s'entend pas. Vous avez trois guitares, un point c'est tout. Qui jouent ensemble et pas à côté l'une de l'autre. C'est la différence de culture entre les amerloques et les frenchies. Ont des racines rock'n'roll que nos métalleux ne connaissent plus, nos formations se contentant de bâtir leur empire sonore sur les groupes préexistant à leur génération. Parfois de très peu de temps. La différence est éclatante ce soir, les ricains puisent aux racines, n'ont peut-être aucun mérite car ils en sont imbibés depuis leur enfance, et les grenouilles s'en tirent comme elles peuvent. Pas si mal que cela. N'ont pas reçu la substantifique moelle nourricière, alors ils la remplacent d'instinct par un certain esthétisme sonore. Sont en cela fidèle à leur provenance culturelle européenne. Suffit d'écouter le rock anglais pour s'apercevoir que les britihs quoique en partie épargnés grâce à leur transmission folklorique populaire ont engendré une pléthore d'artistes qui de Led Zeppelin à Bowie ont été longuement obnubilés par le traitement esthétique des formes musicales venues d'ailleurs qu'ils essayaient de s'approprier.

    Mais revenons à nos californiens en tournée en Europe. N'ont pas quitté la salle durant les passages des deux groupes précédents, visiblement intéressés et se lançant entre eux dans de longs commentaires que leur impossible accent rendait parfaitement inaudibles. Dommage, c'était le moment de se livrer à de l'espionnage industriel. Z'ont deux shouters, l'un blond, l'autre brun, l'un jeune affublé d'une tunique marquée en grosses lettres de l'inscription punkitozoïdale '' I hate everyone'', le senior d'une stature avantageuse qui hurle de toute sa voix. Se partagent les lyrics, le blondinet hélas mal desservi par un micro défectueux. Pas possible d'apprécier à leur juste valeur les jeux d'impédance de leurs deux timbres, la rugosité de l'un mise en valeur ( pour le peu qui fut audible ) par la blancheur déstructurante de l'autre. Embêtant certes, mais le reste de la formation tricote si bien que cela en devient quasi secondaire. Un maillage serré, nous tissent un superbe background d'une terrible efficacité. Un bel exemple d'adaptabilité aux circonstances. Quand le vent emporte la mâture, ce n'est pas bien grave, l'on sort les rames et personne ne verra la différence. Une belle leçon à méditer. Malgré les défaillances techniques, un set superbe.

    Damie Chad.

    ENCOUNTERS / ACROSS THE DIVIDE

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    Enigmatique pochette. Un ciel terrestre, couleur croûte, seule une lueur orange éclaire quelque peu un profil de montagne, sur un mamelon se dessine une solitaire silhouette trop grande peut-être pour être humaine, au dos de ce double feuillet qui sert de livret intérieur, un paysage de même type s'offre à notre vue, la voûte non étoilée présente toujours la même couleur brune si ce n'est qu'un trait jaune et blanc semble la dernière marque d'un soleil en train de s'effondrer. Le dos du boîtier semble plus rassurant, un paysage se dévoile, est-ce un fleuve ou une piste d'atterrissage, dans le ciel marron est tracée une étrange constellation qui semble représenter un pantin en marche, maladroit dessin tracé à la règle par un enfant géométrique. Le CD et le fond sur lequel il repose évoque un kaotique paysage lunaire.

    Intro / Forgive me ( Fear and Fallen Part 1 ) / A tale / The mirror / Sail away / Defenseless / Carry on / Lies / Succeeders ( Fear and Fallen Part 2 ) / Repent / Dull / Unfalling grace / My last dawn : treize titres à entrevoir comme un seul oratorio crépusculaire. Avec cette incertitude que le crépuscule du matin vous libère de la nuit et celui du soir vous y emmène. La musique d'Across the Divide oscille entre ces deux postulations, celle de l'éveil et celle de la menace. L'intro résonne comme un coup de trompette mécanique qui ne laisse présager rien de bon, et rien de mauvais. Il y a deux voix – et peut-être deux voies – celle qui grogne, le loup dans sa tanière, le sanglier dans sa bauge, la brute en vous, et l'autre plus fine, celle du chien qui s'efforce à ressembler à l'homme que nous portons en nous. Une alternance, le noir charbonneux et des éclairs de lumière. Across The Divide a mis la machine en marche, celle qui émiette l'aube et qui en même temps fragmente la nuit. Rythme rapide et intraitable, parfois vous avez l'impression que l'on allège le son pour prendre de la hauteur, mais très vite on remplit les cales de lest pour mieux toucher le fond. Deux voix et pas vraiment un dialogue, l'impression d'une solitude tour à tour insupportable et festive. Se répondent comme l'écho qui se répercute mais qui revient au même, se mirent en elles-mêmes comme si la traversée du miroir était une parallèle infinie. C'est pourtant l'opposition de ces deux timbres, l'un clair de lune, et l'autre face cachée, qui imposent le tempo. Accélérations de vomissures, et dégueulis de yaourt sonore pour l'une, et réminiscence d'une certaine sérénité perdue, mais pas oubliée, pour l'autre. Peut-être parce qu'il est plus difficile de se rencontrer soi-même que de croiser ses congénères. Une musique pour ainsi dire sérielle qui se perd dans le mouvement infini de ses notes bâties comme une succession d'alvéoles solitaires. Across The Divide sonne le glas – froid et glissant – de la partition individuelle. Difficile de recoller ses propres morceaux et de s'en aller tout guilleret gambader sur la voie lactée. Nous sommes un puzzle de sauvageries inouïes et de fragilités innocentes. Parfois la musique d'Across The Divide s'abandonne sur des plages de pur lyrisme et parfois elle s'engouffre dans des cul-de-sacs labyrinthiques. Mais nous savons où elle nous mène. Au bout de nous-mêmes. Peut-être pas le meilleur endroit où il fasse bon vivre. C'est à vous d'en juger. Une superbe réussite.

    Bonus Tracks : The mirror ( Trap version ) / Worthless : ( Rose Thaler remix ) : il semblerait qu'Across The Divide, ait voulu nous quitter sur une note plus sereine. Un peu comme s'ils voulaient se faire pardonner la transparente noirceur de leur vision existentielle qu'ils viennent de nous exposer. Ces deux versions sont rassurantes certes, mais l'attirance des gouffres intérieurs, quoique dangereuse, est autrement plus fascinante.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    EPISODE 10 : LE BOUT DU CHEMIN

    ( adagio angoissono )

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    Au même instant je perçus un léger tapotement amical sur mon épaule droite, je me retournai et me trouvai illico face à face avec Alfred. L'était suivi par une splendide jeune fille qui portait un stylo bille, ma secrétaire dit-il, et tout de suite il exhiba le numéro Spécial-Catastrophe-Roissy de Match. Nous l'avions oublié, mais Alfred avait vraiment fait du super boulot. En une, une fantastique photo de Darky, de tout son long, les pieds sur le tableau de bord, de là votre regard remontait sur son jean déchiré à l'entre-cuisse, l'on quittait à regret cet endroit paradisiaque pour l'horreur de son T-shirt taché de sang, et l'on frissonnait d'horreur et de pitié devant son visage exsangue, ses cheveux aussi emmêlés que les huit pattes d'une tarentule, la photo choc éros et chic abîmal. L'article relatait comment deux berlines noires et officielles du gouvernement français avaient imprudemment traversé les pistes de l'aéroport causant la plus terrible des catastrophes aériennes et le dévouement exemplaire du brigadier Lechef, brillamment secondé par la gendarmette Kruchet et l'agent Chad, ils s'étaient élancés « ils n'étaient pas en service et dégustaient innocemment après une dure journée de travail un petit verre de Moonshine Polonais à la terrasse d'un café de l'aérogare » n'écoutant que leur courage et leur esprit d'initiative ils avaient récupéré une camionnette de police dont les membres étaient descendus pour coller une contravention et quelques baffes bien appliquées au jeune conducteur d'un scooter, manifestement en état d'ivresse, puisque noir de la tête au pied, bref ils s'étaient approchés d'un avion en flammes, et n'avaient pas hésité à pénétrer dans la carlingue en feu dont ils avaient réussi à extraire le corps pantelant et inanimé d'une pure jeune fille, qui leur devait la vie... La suite de l'article était beaucoup plus politique et soulevait des questions embarrassantes, que venait donc faire les deux berlines noires officielles, quelle était leur mission, et pourquoi le gouvernement avait-il organisé le black-out sur cet événement ?

      • L'on en a vendu cinq cent mille exemplaires dans tout l'hexagone, une idée de marketing géniale, des voitures arrêtées sur les ronds-points avec des vendeurs revêtus d'un gilet jaune, une pagaille monstre sur tout le territoire, des milliers de tricheurs revêtant leur gilet fluorescent dans l'espoir d'en grapiller un gratuit ! Ah ! Damie le pays est en ébullition, depuis le début de la journée mon salaire a déjà été doublé six fois, et ce soir c'est le summun ! Darky est en concert, j'ai déjà commencé à dicter le Spécial numéro 2 à Lisette, ma secrétaire, quelle chance extraordinaire, notre jeune fille romantique transformée en meneuse de revue rock'n'roll, un truc à décoiffer la France, faut que je m'approche de la scène pour les photos.

    THE SWARTS

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    Darky fut splendide, s'enroulait autour du micro comme un boa autour de la plus haute branche d'un baobab, et puis crac elle se laissait tomber sur la foule qui se saisissait d'elle, la pétrissait de mille mains avides, la prédatrice se transformait en proie, laissait échapper des miaulements de panthère coïtée par le membre viril d'un mâle en furie, se laissait porter en triomphe à bout de bras, dans la pose languissante de Cléopâtre sur son lit de mort – le lecteur curieux se rapportera au tableau de Jean-André Rixens – pendant ce temps les Eric produisaient une espèce de bouillie sonore que l'on ne pourrait comparer qu'au buisson d'épines ardent par lequel Dieu est censé se manifester aux esprits désormais éclairés par sa présence. Les fournaises du Diable en surchauffe... Le concert dura deux heures. Il en existe une vidéo-pirate que vous pouvez acquérir à prix d'or, certains ont revendu leur maison pour entre en sa possession, couchent sous les ponts depuis, mais ne l'ont jamais regretté. Toutefois je ne suis pas ici en train de rédiger une kronic pour KR'TNT, aussi passerai-je au plus vite à la suite des évènements que le Chef – je vous le rappelle, chers alzheimériens – avait qualifié de la nuit la plus longue...

    VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT ( 1 )

    Svarty faisait ses au revoirs à public – aussi émouvants que l'abdication de Napoléon dans la cour des Adieux de Fontainebleau '' Hey ! Fuckin'girls and fuckin boys, bye-bye ! Keep rockin' till next time !'' Lorsque deux fusées rouges s'élevèrent des deux bouts de la rue. Je ne vous l'ai pas dit pour ne pas vous gâcher la soirée mais ce que le Chef m'avait demandé de regarder, c'étaient ces centaines de CRS et de gardes-mobiles qui barraient les deux entrées... Il y eut un grésillement et une voix s'éleva – je reconnus sans peine celle du Président : '' Ne bougez plus, vous êtes tous en état d'arrestation, nos valeureux policiers vont venir vous chercher pour vous faire monter dans les fourgons qui vous conduiront en prison ! Désormais le rock'n'roll est interdit sur tout le territoire français ! ''. Sur ce les fenêtres de nombreuses fenêtres s'ouvrirent – elles avaient été investies à notre insu par les jardins de derrière dont sont pourvues de nombreuses maisons provisoires - et apparurent des policiers munis de teasers et de lance-grenades. Jubilatoire la voix reprit : '' Rendez-vous, vous êtes cernés, toute fuite est impossible''.

    Hélas, impossible n'est pas rocker. Il n'y eut même pas un demi-dixième de seconde de stupéfaction, le Président avait tout prévu dans son plan diabolique d'éradication du rock'n'roll, sauf que les réactions du rocker de base échauffé depuis des heures par le Moonshine Polonais sont imprévisibles. En un même mouvement la foule se précipita sur les milliers de cadavres de Moonshine qui traînaient partout, n'y avait qu'à se baisser... Une pluie de bouteilles s'écrasa sur les pauvres pandores envoyés au casse-pipe. Pensèrent se protéger derrière leurs boucliers de plastique transparents. Ce fut encore pire, arrêtèrent bien les premiers lancés mais le verre fracassé volait en éclat et tailladait leurs costumes de Ninja. Ne tardèrent pas à reculer et à déserter les fenêtres, mais il y a toujours des petits futés, certains s'aperçurent qu'il suffisait de mettre la flamme de leur briquet devant une bouteille de Mooshine pour la transformer en cocktail molotov, les fourgons et les camions à eau en firent la triste expérience...

    Le guet-à-pan se transforma en désastre. Durant des heures la ville se transforma en chasse à courre. Au petit matin les derniers groupes de sécurité républicaine et sociale s'enfuyait dans les champs de betteraves poursuivis par des hordes de rockers vindicatifs animés par un l'esprit de vengeance fortement déçus et furieux de n'avoir pas eu le temps de recueillir un autographe de Darky...

    VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT ( 2 )

    Pendant ce temps pour nous remettre de nos émotions, nous savourions à petites lampées gustatives, un Moonshine de derrière les fagots, la cuvée spéciale du patron, l'orgueil de Popol, dont il entreprit pendant que nous devisions sereinement de transvaser le contenu de quinze bouteilles dans son nabuchonodosor, devant nos yeux étonnés, il se contenta de marmonner :

      • Non d'une pipe, il n'y a pas de raison !

    Nous aurions bien aimé en savoir plus, mais les déclarations de Cruchettes nous empêchèrent de poser les questions adéquates :

      • C'est décidé Chef, à la fin du mois je rends mon tablier, je vous file ma démission, fini le ménage et la cuisine, je fais comme Darky, je deviens chanteuse de rock'n'roll, j'ai enfin trouvé ma voie !

      • Mais avez-vous une voix, tenta d'implorer le Chef, je vous avoue que penser que je devrais désormais me priver de vos pizzas, me navre, j'en suis tout désarçonné, agent Chad passez-moi vite un Coronado, et avez-vous réfléchi à ce qu'en aurait dit votre père ?

      • Chef, mon père, c'est de l'histoire ancienne, il est mort, et avec lui, c'est la noire époque du patriarcat qui a été enterrée. Ma décision est prise, elle est irrévocable, désormais je ne porterai plus jamais de culotte, et je suis le futur du rock'n'roll !

    Les applaudissements approbateurs des Eric furent brusquement recouverts par un énorme grondement de moteurs. Nous n'eûmes pas à attendre longtemps pour savoir de quoi il en retournait. Décidément le Président était un teigneux. Cherchait la guerre. L'avait fait appel à l'armée. A vingt mètres de la devanture trois énormes chars d'assaut s'en vinrent pointer leur canons droit sur nous.

      • Mazette, murmura le Chef, j'ai intérêt à allumer un nouveau Coronado.

    Mais ce n'était pas fini, un vaste cordon de commandos de marines, se déploya en un vaste arc de cercles, la plupart étaient porteurs de lance-roquettes des plus prometteurs. J'ai la l'honneur et la tristesse d'avoir à rendre compte pour la vérité historique de deux faits des plus importants. L'un glorieux. Kruchette n'hésita pas une seconde, elle sortit, tourna le dos aux militaires et souleva sa jupe. '' Et mon cul, ce n'est pas du poulet !'' hurla-telle, Alfred et le réflexe d'immortaliser cet instant historial où l'on put découvrir que Kruchette fidèle à sa parole ne portait plus de dessous. L'on peut dire que c'est la première déculottée qui fut infligée à l'ennemi.

    Il me faut en venir maintenant à ce que j'aurais aimé n'avoir jamais à relater. La désertion de l'un des nôtres. Une souillure sans nom. Une tache que nul sang expiatoire ne saurait lavé. Qui me touche particulièrement. J'eusse même préféré que ce fût moi qui eus commis cet acte ignoble. Mais non, il était écrit que je porterai une croix plus lourde que celle du petit Jésus. La prunelle de mes yeux, l'amour de ma vie, ma raison de vivre, s'enfuit au galop. Non je n'accepterais aucune circonstance atténuante, il est vrai que Popol lui avait versé une grosse rasade de sa cuvée spéciale, mais ce n'est pas une excuse. J'eus l'impression que mon coeur se déchirait en deux, au début je crus être victime d'une vapeur cauchemardesque hallucinatoitre, mais non, je dus admettre la terrible vérité, Molossa, ma Molossa, la divine Molossa, s'enfuyait à la vitesse de ses quatre pattes, les oreilles baissées, la queue entre les jambes, elle disparaissait déjà derrière les blindés quand la voix du Président s'éleva :

      • J'ai horreur que l'on abuse de ma patience, je vous donne une heure pour vous rendre, juste pour permettre aux médias du monde entier de venir filmer en direct la destruction d'une entreprise terroriste du rock'n'roll qui depuis des années mine sournoisement le moral de notre saine jeunesse. Quand je pense à la déplorable exposition voici à peine quelques minutes de cette délurée...

      • Je m'appelle Cuchette et je t'emmerde !

    Rien à dire Kruchette avait du répondant et une belle voix ! En plus elle l'avait réussi à vexer le Président '' Puisque vous le prenez comme cela, je me tais, tant pis pour vous, il vous reste cinquante-neuf minutes à vivre, au revoir''

    J'ai le regret de le dire mais nous n'étions pas fiers, la situation était désespérée, le Chef avait beau fumé un dernier Coronado avec son flegme habituel, cela ne nous rassurait que moyennement. Par les vitres nous aperçûmes les caméras du monde entier qui commençaient à s'installer fébrilement, un peu partout, de partout du Japon et des USA, de Tanzanie au Portugal... Le temps s'écoulait lentement et très vite... '' Plus que deux minutes'' susurra Popol, en débouchant une dernière bouteille de Moonshine, Elisabeth voulut m'embrasser, le hasard voulut que mes yeux se portassent à l'extrême gauche de la ligne des commandos, le soldat qui était appuyé sur le mur d'une maison, s'écarta d'un geste agacé, je pensais que c'était le dernier détail insignifiant que mon cerveau enregistrerait. La voix du Président s'éleva : « cinquante-huit, cinquante sept, cinquan...''

    ( A suivre )

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 209 = KR'TNT ! 328 : JERRY RAGOVOY / HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE / HEADCHARGER / FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE / NAKHT / CLAUDE BOLLING

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    jerry ragovoy,howlin'machines,the distance,headcharger,frctrd,across the divide,nakht

     

    LIVRAISON 328

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 05 / 2017

     

    JERRY RAGOVOY

    HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE / HEACHARGER /

    FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE / NAKHT

    CLAUDE BOLLING

    Les ragots de Ragovoy

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    Les ragots de Jerry Ragovoy valent leur pesant d’or. Dans son numéro d’avril, Record Collector publie une interview inédite de ce géant du Brill qui eut la chance de travailler avec Bert Berns, en tant que co-auteur et co-producteur. Voilà bien ce qu’il faut appeler un duo de choc. Oui, car avec Jerry et Bert, nous nous trouvons au cœur du mythe de la grande pop américaine, ou pour être plus précis, aux racines du cœur de mythe. Comme le rappelle Al Kooper, Jerry and Bert were known as white kings of soul music. Oui, les rois blancs de la Soul music, ni plus ni moins.

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    Le premier hit qu’ils composent ensemble est le fameux «Cry Baby» popularisé par Garnet Mimms & the Enchanters, un quatuor black new-yorkais. Mais Garnet chante d’une voix trop puissante. On sent en lui le vétéran des gospels choirs, il explore les cimes et redescend avec un timbre terreux de boogaloo qui frise le Howlin’ Wolf. Malgré toute la puissance de ce hit obscur, ça ne pouvait pas marcher. Apparemment, Jerry misait lourd sur Garnet car il enregistra d’autres obscurités frénétiques, comme cet «As Long As I Love You» qu’on trouve sur la belle compile qu’Ace consacre à Jerry. Garnet chante à la poigne de fer, il sort du pur jus de r’n’b new-yorkais des early sixties, on sent une incroyable présence et on se pose la question habituelle : pourquoi diable est-il tombé dans l’oubli ? Son «Thinkin’» relève du pur jus de raw r’n’b, celui que nous affectionnons particulièrement.

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    Bert avait un sens «commercial» beaucoup plus développé que celui de Jerry. Il savait flairer les très gros coups. Il signa Erma, la grande sœur d’Aretha, sur son label Shout et co-écrivit le fameux «Piece Of My Heart» avec Jerry. Ce fut le smash que l’on sait, popularisé plus tard par Janis Joplin, comme chacun sait. Il est important de préciser ici que Janis raffolait des chansons de Jerry. Après «Piece Of My Heart» (qu’on trouve sur Cheap Thrills), elle tapa dans «Try (Just A Little Bit Harder)» pour Kosmic Blues. Jerry fut tellement touché par ces brûlants hommages qu’il composa «I’m Gonna Rock My Way To Heaven» pour elle, mais la pauvre Janis cassa sa pipe avant de pouvoir l’enregistrer. On trouve trois autres hits de Jerry sur Pearl, l’album posthume de Janis : «Cry Baby», «My Baby» et le Tatien «Get It While You Can». C’est dire si Janis avait bon goût !

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    Quand Dan Nooger qui mène l’interview demande à Jerry si Bert n’était pas un peu trop directif en studio, Jerry rigole. Bien sûr que si ! Phil Spector, Shadow Morton, Leiber & Stoller, c’est-à-dire tous le grands producteurs de l’époque, étaient des gens intraitables. Ils donnaient des indications très précises aux interprètes, ils voulaient que les chansons qu’ils avaient composées soient chantées d’une façon extrêmement précise. Ils répétaient énormément avant d’enregistrer. L’interprète n’avait qu’une seule marge de manœuvre, son feeling.
    Howard Tate était aussi l’un des chouchous de Jerry. Ancien collègue de Garnet Mimms dans les Belairs, Howard adorait travailler avec Jerry - We were too good a team - C’est vrai, mais Jerry rappelle aussi qu’Howard était un homme perturbé - a troubled person - Et quand Howard refit surface en 2003 après vingt-sept ans d’absence, qui fut son producteur ? Mais Jerry, bien sûr. Il faut situer le team Ragovoy/Tate au même niveau que le team Bacharach/Warwick, ou encore Berns/Franklin. Voilà ce que les habitués du PMU de la rue Saint-Hilaire appellent des doublets gagnants. Jerry rappelle que l’album Get It While You Can est devenu culte. Il faut entendre l’archange Tate swinguer «You’re Looking Good» d’une voix délicate et partir en piqué vrillé. Tate tâte bien le terrain et des trompettes arrosent ses chutes grandioses. Par contre, il oublie toute forme de sophistication pour chanter «Get It While You Can». Jerry rappelle aussi que tous ces hits étaient enregistrés live, avec l’orchestre au grand complet - no overdubs.

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    Et puis il rend hommage à Lorraine Ellison, qui figure parmi les plus brillantes Soul Sisters d’Amérique. En Europe, on connaît «Stay With Me» grâce à Sharon Tandy, mais la version originale vaut son pesant d’or. Lorraine cœur d’acier percute son hit du petit doigt et l’envoie valdinguer au noooow d’exaction maximaliste. Elle grimpe son can’t believe si haut qu’on le perd de vue. Cette folle atteint les zones érogènes d’un feeling atrocement pur - Remember ! Remember ! - Elle ouh-ouhte sa spectaculaire percée stratosphérique. L’histoire de cette session est assez marrante : un jour, le patron de Warner appelle Jerry et lui demande s’il connaît quelqu’un qui saurait chanter avec un orchestre. Quel orchestre ? Le boss lui explique qu’il a sur les bras un orchestre de 46 personnes payé pour une session de trois jours que vient d’annuler Frank Sinatra. Jerry saute sur l’occasion et dit qu’il connaît quelqu’un. Ça se passe un lundi, et la session débute le mercredi soir. Il contacte Lorraine aussitôt, lui compose un hit vite fait, écrit les arrangements pour les 46 musiciens, deux nuits sans sommeil, et pouf ! C’est «Stay With Me» ! Lorraine chante en direct avec tout l’orchestre ! La version qu’on entend sur le disque est la version stéréo de l’époque, enregistrée en une seule prise, même pas mixée - I didn’t even have to mix - Jerry rend hommage à Phil Ramone, l’ingénieur du son qui enregistra ce monster hit sur un huit pistes. Magie pure de la Soul. Mais il y eut à la suite un léger problème, car de la même manière qu’Aretha, Lorraine refusait de monter dans un avion, pas question de quitter Philadelphie, ce qui coula sa carrière et fâcha Jerry qui voulait faire de la promo. À l’époque, c’était la règle. Pour promouvoir un hit, il fallait tourner.

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    L’un des hits les plus célèbres de Jerry est certainement «Time Is On My Side», popularisé par Irma Thomas, puis les Stones. Jerry l’enregistra en 1963 avec un tromboniste de jazz danois nommé Kai Winding, soutenu par un trio de backing girls de choc : Cissy Houston, Dionne Warwick et sa frangine Dee Dee. Il faut entendre cette énorme version jouée aux trompettes de la renommée et chauffée à blanc par les clameurs des filles devenues folles. Pure démence de la partance ! Irma reprit le hit à Hollywood en 1964 et les Stones un peu plus tard la même année. Tiens justement, puisqu’on parle d’Irma : après le succès de «Time Is On My Side», elle voulut absolument enregistrer une session avec Jerry et vint à New York pour enregistrer quatre titres dont «The Hurt’s All Gone» qu’on trouve sur la compile Ace et qui n’est pas si bon, car elle tente de passer en force. Dommage. Jerry tenta aussi de faire décoller Estelle Brown, l’un des choristes new-yorkaises les plus demandées avec les trois pré-citées et d’autres encore comme Doris Troy et Myrna Smith. Mais son «You Just Get What You Asked For» à la fois captivant, si maladroit et sur-produit refuse de décoller. Estelle voit une girl dans un looking glass who is crying - And this girl is me - On retrouvera Estelle dans les mighty Sweet Inspirations avec Cissy Houston, Sylvia Shemwell et Myrna Smith.
    L’une des grandes révélations de la compile Ace, c’est Pat Thomas qui chante «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face». C’est emmené d’une voix mûre d’Africana à la revoyure, sur fond de groove magique. Jerry crée pour Pat les conditions de l’excellence. Le cut est si bon que Dionne Warwick le reprendra dix ans plus tard sur son album Then Came You, dont la pochette s’orne de son portrait peint. Jerry produisit cet album en 1975, mais il avoue pleurer chaque fois qu’il le réécoute, car il le dit over-orchestrated. Il dit même avoir voulu péter plus haut que son cul - je me prenais pour Burt Bacharach qui, ajoute-t-il, ne sur-produit jamais. Jerry pense que c’est son plus grave échec et confie dans la foulée qu’il aimerait bien pouvoir s’excuser auprès de Dionne. Et pourtant quand on écoute «Move Me No Mountain», on frémit, car Dionne explose ce groove digne de nos rêves les plus humides. C’est atrocement bon. Bizarrement, Then Came You compte parmi les meilleurs albums de Dionne. Jerry pêche sûrement par excès de modestie.

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    On retrouve aussi le fameux «Good Lovin’» des Olympics sur cette belle compile Ace, un hit sixties qui sera popularisé un peu plus tard par les Young Rascals. C’est un pur hit de juke, irréprochable et idéal pour jerker au coin du chrome. L’autre hit universaliste que composa Jerry fut bien sûr «Pata Pata» pour Miriam Makeba. Quand Jerry la reçoit dans son bureau, Miriam lui dit : «What I wanna do Jerry is American ballads !». Wow ! Jerry s’enthousiasme immédiatement. Facile, des American ballads, il en a plein ses tiroirs. Mais comme il est très pro et qu’il ne la connaît pas, il va la voir chanter dans un club et paf, il tombe carrément de sa chaise ! Eh oui, il découvre une reine africaine, un univers musical qui lui est inconnu et qui le fascine. Alors, il laisse tomber les American ballads et demande à Miriam de revenir dans son bureau et de lui chanter des chansons africaines. Miriam est ravie de ce revirement. Elle chante a capella et Jerry l’enregistre. Il écoute la cassette chez lui et Jerry flashe comme un dingue sur «Pata Pata». Il demande à Miriam de l’aider à transcrire le texte en Anglais. «Pata Pata» devient le hit que l’on sait. Miriam chante comme une géante et ne la ramène pas. C’est toute la différence avec Stong. On monte encore d’un cran avec Dusty chérie. Comme Irma, Dusty chérie voulait absolument travailler avec Jerry car il bénéficiait d’une aura de rêve - A r’n’b icon - Pour elle, Jerry co-écrit «What’s It Gonna Be» avec Morty Shuman. Dusty est une bonne, elle ramène là-dedans tout le foncier d’Angleterre et tout le chien de sa chienne - I can’t face it - Encore un pur hit de juke, Jack.

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    Carl Hall est l’autre grande révélation de cette compile. Jerry n’enregistra que quatre singles avec Carl dont l’effarant «What About You». C’est lui la véritable star du Jerry Sound System. Jerry lui fournit le background orchestral de la légende. Carl combine le meilleur groove du monde avec le scream impénitent - What about you mister - Il chante à l’énergétique pur et dur. Tiens, encore un fabuleux coup de Jarnac avec «You Don’t Know Nothing About Love», un softah sirupeux qu’il traite à l’égosillée purulente, il s’y monte impitoyable - One day my friend it’s gonna be your turn - et il développe une fascinante ambiance perfide. Selon, Jerry, Carl Hall est un géant - One of the most mind-blowing vocalists who ever lived - un artiste capable de chanter du gospel, de la Soul et du Broadway, et qu’on retrouve dans les chœurs derrière Bonnie Raitt sur l’album Streetlights.
    Jerry monta son label Rags Records pour promouvoir les disques de Lou Courtney, un mec qu’il aimait bien - I think Lou Courney was a great talent - En effet, quand on écoute «What Do You Want Me To Do», on entend un séducteur croasser dans son micro. Cette fois, Jerry va sur un son plus funky, mais ça reste extrêmement produit. Il connaît bien ses artistes. Il les produit avec les mains d’un cordonnier, comme dirait Léo. Jerry veille aussi sur le destin de Major Harris, un vétéran de la Soul qui fit partie des Delfonics. Avec «Pretty Red Lips», ce bon Major nous croone un groove d’une classe infiniment supérieure, c’est indubitable, et la question de savoir si ce groover est humain ne se pose même pas, puisqu’il groove comme un dieu de l’Olympe. D’où cette réputation non usurpée de divin groover.

    Signé : Cazengler, Jerry rat d’égout

    Roll With The Punches. Interview Jerry Ragovoy par Dan Nooger. Record Collector #465/April 2017
    The Jerry Ragovoy Story. Love Is On My Side 1953-2003. Ace Records 2008

    PETIT-BAIN / PARIS / 04 – 05 – 2017


    HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE
    HEADCHARGER

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    Retour au Petit-Bain. Brrrr ! Le frisson dans le dos quand me revient le froid de loup qui sévissait fin janvier sur Paris, heureusement que Pogo Car Trash Control avait salement relevé la température. Ce soir c'est mieux, seulement la pluie – remarquez de l'eau au Petit-Bain ce n'est pas étonnant – sont sympas nous ouvrent les portes un peu avant l'heure. Pour le voyage pas de problème, la teuf-teuf a tenu la distance en un temps record. A croire qu'ils avaient vidé Champigny de sa population pour nous laisser passer. Bref nous voici au chaud, dans les flancs du navire, le temps de discuter avec un photographe en mission commandé fan de métal à mort.

    HOWLIN' MACHINES

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    Sont trois tout jeunes. N'ont pas de beaucoup dépassé la vingtaine. Basse, guitare et batterie. Et un chanteur. Seulement besoin d'ouvrir la bouche pour que l'on se rende à l'évidence. Une voix. Une vraie. De celles qui s'imposent sans forcer. Noire à souhait. Du moins au début du set trop court. Car elle passera sans effort de la pulsion rhythm 'n' bluesy au phrasé rock'n'rollien avec de temps en temps ce léger décalage qui claque en écho non sans faire penser aux décrochements répétitifs de Robert Plant. Tient entre ses mains une basse Rickenbaker . De Lemmy à Metallica, cette bébête monstrueuse au sustain inimitable, suffit de la mettre au galop pour qu'elle vous garde sans faillir la même allure, pouvez jouer du cimeterre sans souci et éparpiller les têtes sur votre passage en toute tranquillité, genre d'engin de chantier idéal pour un chanteur occupé aux vocales manœuvres. C'est qu'à ses côtés ses deux acolytes ne chôment pas. Tambour battant pour l'un et riff hifi pour l'autre sur les cordes. Les machines hurlantes ne connaissent pas l'immobilité, une fois démarrées rien ne saurait les ralentir. Ne prennent même pas le temps de finir les morceaux. Leur tronçonnent la queue sans préavis d'un coup de hachoir définitif. Un peu comme quand vous terminez votre livre trente pages avant la fin, d'un claquement sec et rédhibitoire, afin de vous emparer au plus vite du tome 2. Sont des adeptes du stoner de Brest, une frégate de soixante canons qui vous court dessus à l'abordage toutes voiles dehors portée par un vent arrière de soixante nœuds. Nous sortent tout de même un blues au milieu de set, The Lies About, mais tellement surchargé d'impédance énergétique qu'il vous roborative les neurones davantage qu'il ne vous éreinte l'âme. Se livrent à une OPA sans défaut sur l'assistance qui se laisse subjuguer et maltraiter avec un plaisir évident.
    Dernier morceau. Les cris de déception fusent. Cette fusée étincelante nous l'aurions bien gardée encore un bon moment. Ils emporteront nos regrets. Une trajectoire éblouissante. Courbe harmonieuse et élégante. Du bas vers le haut. Missile sol-air. Ces jeunes gens sont partis pour atteindre des régions situées dans les stratosphères interdites aux vaches molles du rock'n'roll. Down 'n' Higher proclament-ils, mais définitivement higher.

    THE DISTANCE

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    Se touchent du poing, tous les quatre, tel un rituel vaudique, avant d'égorger le blue red rooster du rock'n'roll. Et tout de suite après c'est la montée en puissance de la fournaise. Le son est là, vous saisit de son ampleur, la lave de Pompéi débordant du cratère assassin et refermant sa gangue mortuaire sur les habitants englués dans un fleuve de feu. Avec un avantage, c'est que vous ne mourrez pas, au contraire c'est une force sonique qui s'insinue en vous, vous porte et vous transcende.
    Trois devant et Hervé tout seul derrière. N'est pas abandonné. Duff lui rend souvent visite, un pied sur l'estrade où repose la batterie. C'est qu'Hervé est attelé à ce que Roger Gilbert Lecomte appelait un horrible travail révélatif. Du tramage forgique de poésie. L'enclume et le marteau. Casser la carapace des rêves pour en extraire l'élixir souverain de la réalité agissante. Œuvre alchimique par excellence. Une large cadence – en ses débuts comme le ressac incessant et millénaire de la mer qui s'écrase sur le rivage – qui peu à peu, insensiblement, s'accélère tout en montant en mouvance sonore. Tout à l'heure finira en fou épileptique, en possédé du démon rythmique, les cent bras de Shiva parcourant les toms sans une seconde d'interruption - un personnage de dessin animé passé à la chaise électrique, vous ne voyez plus, vous n'entendez plus que cette frappe qui passe et repasse, ces bras levés qui s'abattent sans fin, un tambour de machine à laver directement branchée sur une ligne à haute tension - qui tournent et retournent comme les ailes rouges de la guerre des poèmes de Verhaeren.

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    ( Photo : FB : Julien Momusic )


    Et les trois devant qui insidieusement alimentent le foyer. Duff à la base, les cheveux qui coulent sur ses épaules dissimulent son visage, se plante au bord de la scène pour lâcher sur vous les chiens de chasse de ses lignes de basse. N'est plus qu'un émetteur phonique, un dispensateur de noirceur ondulante, qui induit les transes intérieures les plus meurtrières, doit parvenir à certains points d'acmé énergétique indépassables, des chakras d'intensité opératifs, car parfois il se redresse, regarde le public et un rapide sourire énigmatique éclaire ses lèvres.
    Mike est au micro. Utilise sa voix comme un second instrument. Ne domine pas les autres mais la module comme un cinquième élément éthérique dont l'apport se révèle indispensable à la cohésion du groupe. Joue de la guitare. Non pas tout comme Sylvain mais avec Sylvain. Certes ils n'en ont pas une pour deux mais c'est tout comme. Pour sûr il y a des moments où chacun tricote de son côté, mais si j'ose dire cela ne compte pas. Sont comme des jumeaux. Des géants siamois. Plus le set avancera, plus on les verra se rapprocher, corps contre corps, et guitares face à face, emportées dans un tunnel infini d'égrenage grêle de notes fuyantes, l'impression de deux cavaliers galopant de conserve mais perdant leur sang jusqu'à l'évanouissement final, en ces moments la batterie n'en accélère pas moins le tempo, mais moteur coupé, une voiture dévalant un col de montagne sans frein, Duff qui met sa basse en brasse coulée, en apnée, et brutalement alors que l'on croit que le feu va s'éteindre et mourir d'asphyxie l'incendie embrase la forêt, ah ! Ces coups de reins brutaux et fastueux du quatuor qui repart comme un seul homme ! Répétitifs en plus. Car le rock'n'roll est avant tout un art de l'excès, il est strictement recommandé de dépasser la dose prescrite. Et d'en reprendre à foison tout en ayant soin de cambrioler la pharmacie. Pas question de demander poliment et de payer son dû.
    Alors ils nous font la distribution gratuite. Vous en aurez plus que vous ne voulez. Sur les trois derniers morceaux, ils sont devenus fous. Mike et Sylvain ne sont plus que des marionnettes saccadées hantées par de mauvais génies vipérins. Sont cambrés, des automates en délire, opèrent une espèce de parade de paralytiques tétanisés qui marchent en tous sens, la bave du rock'n'roll aux lèvres et leurs guitares atteintes d'une fureur de berserker. Duff ne tarde pas à subir lui aussi les effets de cette transe hypnotique et tous trois se croisent comme des trains fantômes échappés de leur rail. Exultation dans la salle. Sylvain projette sa guitare sur le sol – la fureur de la destruction n'est que l'autre versant de la démesure des dieux - et sur une dernière razzia drumique le combat cessa faute de combattants. Pas de rappel. C'est la stricte application de la réglementation de la salle. Les lumières se rallument. Les meilleures choses ont une fin. Même les sets de The Distance.

    HEACHARGER

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    Distribué à l'entrée du concert, Flyer-Zine Musikoeye N° 33, papier glacé, quatre pages, révélant interview sur l'enregistrement d'Hexagram, leur sixième album, et les voici maintenant sur scène. Sûrs d'eux, l'on sent les vieux routiers rompus – formés en 2004 – qui ne s'en laissent pas compter et qui escomptent bien satisfaire le public manifestement acquis à l'avance. Nous livrent un show impeccable, millimétré, j'aurais toutefois aimé que fût un tantinet plus forte la tonalité du micro sur lequel Sébastien Pierre bondit alors qu'un mur de guitares déferle sur nous. Ne s'économise pas, agite sa grande silhouette dans tous les sens, visière de casquette en avant et bras sémaphoriques qui moulinent l'espace.
    Headcharger charge, un régiment de blindés qui écrase tout sur son passage, juste le temps de ré-accorder entre deux morceaux, l'offensive ne s'arrête jamais. David Rocka et Antony Josse sont aux guitares, ne laissent subsister aucun interstice sonique, aucun répit, aucun essoufflement, aucune fêlure, au taquet, toujours là au moment où il faut y être, les doigts qui filent et l'attitude attendue. Cheveux hirsutes, barbes et visages dégoulinent de sueur, ils donnent plus qu'ils ne prennent. Amassent et dispensent le son, mais c'est Sébastien qui établit la communication avec le public qui s'agite à sa demande, manifestement ravi de s'entrechoquer même si l'étroitesse du lieu canalise quelque peu son exubérance.
    Les guitares filent loin devant, et à la batterie Rudy Lecocq pousse tout près derrière, ne nous dispense pas de simples rudiments, les coups pleuvent sur ses peaux comme giboulées de Mars et grésils de tempête, heavy-stoner-sound, tambours de sable et ronds de feu. Un son qui cherche le point de fuite mais ne s'y engouffre pas sans emmener tout l'orchestre avec lui. Pas question de batifoler en chemin pour compter les pétales des coquelicots, l'on attrape le loup par la queue et on ne le lâche pas d'une seconde. Romain Neveu à la basse doit avoir un sacré boulot, n'aimerais pas être à sa place, c'est à lui qu'échoit le sale boulot, de maintenir la cohérence du groupe et de l'empêcher d'éclater en mille directions et de se disjoindre dans une course éperdue.

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    Headcharger garde le contrôle, de Land of Sunshine qui ouvre le set à Wanna Dance qui le clôt, ils vous tondent la pelouse sans jamais oublier le moindre brin d'herbe, tout en préservant les fragiles corolles des pâquerettes, déboulent sans frémir au cœur de taillis de ronces à la All Night Long ou à la Dirty Like Your Memorie et vous en ressortent sans une égratignure. Vous déchiquettent bien de leurs lames acérées quelques grasses couleuvres alanguies qui dormaient dans les hautes herbes mais personne ne s'en inquiète. Surtout pas le public si j'en crois les regards extatiques de mes voisines qui ne quittent pas des yeux les garçons sauvages magnifiés en pose héroïques de guitar-héros, jambes écartés, corps penchés en avant, statures iconiques du rock'n'roll.
    Une heure, pendule accrochée au mur faisant fois de l'exactitude de ce décompte temporel, l'on ne sait trop pourquoi, tout s'arrête, n'est même pas onze heures, faut pourtant boire le fameux bouillon, qui coupe court à toutes les effulgences de la vie. Headcharger quitte la scène sans rémission. De la belle ouvrage.

    RETOUR


    La teuf-teuf trottine, de vastes pensées s'amassent sous mon front, une découverte : Howlin'Machines, une tuerie : The Distance, et Headcharger de bons combattants mais perso leur trouve un petit côté un peu trop chevalier blanc sans peur ni reproche. Gimme Danger comme dit Iggy. L'auto-radio se bloque sur Ouï FM et diffuse les douces romances de Bring The Noise, arrivé à Provins – hertzienne zone maudite - les ondes décrochent. Tant pis, j'ai eu le temps d'entendre Paroles M'assomment de Pogo Car Crash Control. La boucle est bouclée.


    Damie Chad.

    06 / 05 / 2017 / LE MEE-SUR-SEINE
    LE CHAUDRON


    RELEASE PARTY NEW EP CHAKRA
    NAKHT
    FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE

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    Savigny-le-Temple. La teuf-teuf longe l'Empreinte. Etrange, parvis désert à quinze minutes de l'ouverture officielle des portes. Y aurait-il un lézard dans l'horloge ou un homard dans la cuvette WC ? Nécessité absolue d'improviser et d'appliquer un plan B. Inutile de me reprocher d'avoir mal lu le flyer. A vue de nez, Le Mée-sur-Seine n'est pas loin. Essayons Le Chaudron. Presto & bingo ! N'ont même pas commencé. Ça papote à loisir devant l'ustensile à popote.

    FRCTRD


    Noir. Lumière infranchissable pourriture disait Joë Bousquet. FRCTRD va s'adonner à son jeu favori de dissociation de nos photons mentaux. Sample d'entrée, et dès les primes notes ils vous présentent la fracture avec la TVA adjacente du Tout Voulu Atomisé. Musique brutale, happée par elle-même, qui à chaque pas en avant s'écroule dans la fosse commune des pseudo-illusions qu'elle n'arrête pas de creuser. Une tranchée rectiligne qui s'engouffre dans la brisure de sa propre rectitude.

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    Cinq guerriers du néant illuminatif. Anneaux de caraque aux oreilles, zigomatiques saillants, et une voix d'onagre en rut, Vincent Hanulak annule tout, cavale crache et cravache le carnage du grain moulu de sa voix. Remarquez que derrière sa guitare d'une sombreur luisante de lampadophobe, avec ses yeux de braise et sa barbe de prédicateur fou d'évangéliste atterré, Filip Stanic n'a rien à lui à envier...

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    ( Photos : FB : Mlle Lazurite )

    Impossible d'apercevoir le visage interdit de Clément Treligieuse, le dissimule avec une obstination derrière le rideau d'une blonde touffeur, à croire qu'il s'agit d'une attentatoire terreur religieuse qui lui interdit de quitter l'absence de toute présence, Maxime Rodrigues penché sur sa basse, une patience d'insecte, de ceux qui savent que leur race immonde finira par supplanter l'espèce humaine, et Gregory Louzon concentré sur ses fûts à la recherche de l'impossible formule de la dilution finale.
    Tout juste quelques titres. Une poignée de grenades entrouvertes jetées à la face de l'intermittence du monde. Mais assez pour signifier le clignotement du néant dévorateur que tout un chacun feint de ne pas apercevoir. Par sa musique, épurée jusqu'à l'os, qui se dévore elle-même, qui se phagocyte de sa propre viduité, FRCTRD vous plonge le nez dans la vacuité absolue de votre existence, ce filet entrecroisé de cordes emmêlées, ce réseau arachnéen de toutes vos fragilités qu'un coup de vent glacial projettera un jour ou l'autre au fond du gouffre.
    L'on ne peut exprimer le silence que par des bruits implosifs nous rappelle FRCTRD, des pétarades mouillées, des eaux suintantes de la morbidité malfaisante de nos petitesses humaines. Des hachis de guitare et des purées parmentières de batterie qui crapaude en batracien que l'on fait fumer et qui explose en nuage artificiel de fumée létale. Le combo ne nous ménage pas, fait le ménage, passe le délabré plumeau poesque aux plumes de corbeau plutonien sur la toile de nos démissionnaires exigences.
    Un set magnifique. D'amer constat des dégâts occasionnés par l'erreur de vivre. Musique métaphysique. Fractured but no captured.

    ACROSS THE DIVIDE


    Encore des partisans cumulatifs des fissions nucléatiques. Musique à trous taillés à pic dans l'intumescence lyrique des samples omniprésents. Across the Divide découpe au plus court. Sont les adeptes de la fragmentation fractale. Un riff ne saurait aller plus loin que lui-même. Même répété, compressé coup sur coup une dizaine de fois, asséné comme des fureurs de fouets, cinglé comme comme des salves de sangles sur les épaules d'un supplicié, très vite tout se déstructure. Effondrement final. La musique d'Acroos The Divide est une suite dramatique interrompue de points de suspension. Mais le silence ne s'intercale pas entre les abruptifs sonores. Sont remplis par les grandes orgues des samples de toute pompeuse noirceur, un peu comme ces musiques d'enterrement que l'on passe pour cacher en vain le gouffre vital enfermé dans le tabernacle du cercueil.

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    Axel Biodore est à la guitare. Un beau jeu mais pas du tout bio. Martyrise ses cordes à la manière de ces épandages d'insecticides meurtriers qui vous pulvérisent la végétation en quinze secondes et vous provoquent des mues géantes chez les coléoptères venimeux dispensateur de pustules purulentes. Alexandre Lhéritier n'en a guère besoin, sa voix d'écorcheur de chats faméliques se suffit elle-même, vous agonise de ces chuintements boueux de lamentin échoué, pourtant Axel ne peut résister à agrémenter les reptations gosierâles de son chanteur d'une espèce de beuglement caverneux qui diffracte encore plus cette sensation de vertigineux malaise qui s'exsude des découpes rampantes opérées par Maxime Weber sur ses cymbales atonisées.

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    Parfois Jonathan Lefeuvre aussitôt imité par Axel, arrête de jouer de sa guitare, vous donnent l'impression de chuinter les interstices qui séparent les cordes, de glisser leurs doigts comme des chirurgiens qui hantent de leurs assassines phalanges les entrailles d'un patient opéré à vif sans anesthésie, et la basse de Régis Sainte Rose adopte alors la douceur funèbre d'une rapsodie maladive. Et tout cela vole aussitôt en éclats, en tôles de coques d'obus dispersées au moment le plus meurtrier de son impact.

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    ( Photos : FB : Mlle Lazurite )


    Auront droit au set le plus long. Se livreront à un concassage sonique méthodiquement chaotique, l'on sent qu'ils cherchent la fissure ultime, leur musique achoppe la réalité du monde tel un trépan mû par un infatigable et monstrueux balancier qui cherche à s'immiscer dans la matière la plus noire de l'univers.

    NAKHT

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    Les rois de la fête mortelle. Qui pousseront l'élégance jusqu'à se contenter d'un set à notre goût un peu trop court. Nous savons bien qu'indénombrables sont les anneaux d'Apophis, L'assistance aurait bien voulu que l'on en déroulât trois ou quatre de plus...
    Lourdeurs sonores. Trois projecteurs tournoient leurs trois pinceaux de lumière blanche qui n'ont d'autre but que d'aviver la pénombre. Chacun des musiciens, encore invisibles, regagne sa place. L'on entend Danny Louzon qui depuis les coulisses poussent un hurlement rauque de bête traquée. Embrasement de lueurs d'hémoglobine, son sursaturé des guitares qui déchirent les tympans, les têtes des guerriers guitaristes tournent sans fin telles des ailes de libellules rilkéennes folles tandis qu'à la batterie Damien Homet broie le noir des espérances diluées.

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    Danny, déjà si grand, se juche sur le piédestal de fer central, sa tête touche presque les tubulures centrales qui soutiennent les projecteurs, se courbe, s'incline vers nous, brasse l'air de ses bras comme s'il nous faisait signe de s'approcher pour mieux entendre les grognements caverneux qui émanent des profondeurs de ses poumons. Gestes impérieux et déluge sonore. Ronde des guitares qui changent de place, marche des ombres, le temps de recevoir la commotion en pleine figure que Danny nous prédit Our Destiny qui se s'annonce que sous les pires auspices du bruit et de la fureur, faut le voir saisir son micro à deux mains, ponctuer d'un bras impérieux les segments monstrueux de la prophétie, tandis qu'aux guitares, Alexis Marquet et Christopher Maigret sabotent les règles de la sainte harmonie de leur kaotiques giclées cordiques, Clément Bogaert reste perdu dans la transe enivrée d'une danse barbare inachevable. La musique gronde et emplit l'univers pour fêter le réveil d'Apophis le maudit. La musique de Nakht prolifère comme l'infinie reproduction protozoairique de brontosaures géants qui accoupleraient leurs fétides corpulences en des noces de tonnerre et de foudre, sans cesser de piétiner les géantes forêts ante-préhistoriales... La scène est déchirée d'éclairs de lumières blanches plus pâles que des aubes blafardes de fin du monde sur choral de requiems noirs engoncés dans une pachydermique rythmique, une espèce d'halètements syncopés dont on ne perçoit que les brisures mais pas le souffle nauséabond qui pourtant pulvérise les rochers. Béance mortifère, symbolisée par le falzar noir de Danny aux deux jambes soigneusement lacérées d'une large entaille dont on voit s'ouvrir et se refermer les lèvres mouvantes, jumelles bouches muettes d'une pythie delphique qui révèlerait par ce bâillement de batracien inaudible les ultimes malédictions de la future désintégration de la race humaine. Grouillements d'égosillements, martelages titanesques, points d'ogres en ouverture de précipitations nocturnes, Nakht bouscule les montagnes et patauge dans les failles océaniques. Les cités flambent sous les pas des conquérants et la musique brûle, Nakht est un dragon engendré par nos phantasmes les plus masochistes qui n'ayant plus rien à dire finit par s'incendier lui-même pour ne pas être victime de la froideur impie du silence qui corrompt et gangrène l'univers.

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    ( Photos : FB : Antoine Sarda )

    Grondements antédiluviens pour conjurer nos faiblesses. Nakht dépose la rosée mortifère de sa musique comme un feu atomique, il est la nacre préservatrice qui se forme à la surface des roches et le chancre purpural de nos âmes. Cette ambroisie mortelle détient le secret de l'immortalité. C'est pour cela que nous l'écoutons. Epoustouflant.

    RETOUR


    Après une telle soirée il est difficile de rejoindre le monde vide de nos contemporains. Trois groupes réunis en une seule unité tonale. Toutefois distincts et dissemblables. Nakht a méchamment réussi sa Realease Party. Nakht a rouvert nos chakras encrassés. Evidemment si vous n'aimez pas, vous pouvez vous inscrire à un centre de méditation zen. Ce serait même préférable pour vos fragilités. Ce qui vous tue ne vous rend pas plus fort.


    Damie Chad.

    CHAKRA / NAKHT

    INTRO / WALKING SHADES / THE MESSENGERS / HALL OF DESIRE / LXXVII / MIND'S JAIL /

    DANNY LOUZON : vocal / DAMIEN HOMET : drums / Clément BOGAERT : bass / ALEXIS MARQUES : guitar / CHRISTOPHER MAIGRET : guitar.

    On avait beaucoup aimé la brutalité d'Artefact le premier EP de Nakht, autant dire que l'on attendait le deuxième avec intérêt.

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    Intro : grondements annonciateurs de fureur, chants védiques venus d'ailleurs, des gouttes d'eau lourde clapotent, des serpents venimeux rampent dans les canalisations. Frottent leur ventres écailleux sur le plomb saturnien. Arrosages dulcimériques et cymbales qui s'affaissent. Walking Shades : sons sursaturés, instrumentaux phrasés cithariques, la voix de Danny qui s'amplifie et domine le tout, une radio mal réglée qui diffuse des guitares d'orage et la batterie qui compresse les tympans des temples détruits. The Messengers : générique musical, guitares grondantes presque sixties entremêlées de mélopées orientalisantes, oasis d'optimisme vite balayée par le vent froid et mordant des nappées nakhtiques, et le grondement rhinocérique de Danny qui bouscule les palmiers du désir, grandiloquences orchestratives et Danny qui hache le persil des illusions d'un timbre implacable. Les Messengers ne semblent pas apporter de bonnes nouvelles, malgré la danse des guitares à laquelle se mêlent les soubassements saccadés d'une batterie embrochée. Lyrisme concassé. Très fort. Parviennent à rendre le rut de l'inaudible audible. Apophys : poussée de batterie. Corruption de guitares et montée in abrupto de tout l'ensemble, des cordes qui sonnent comme les trompettes du jugement dernier, Danny semble en bégayer comme s'il avait trop de sons à déglutir, Nakht écrase tout. Le serpent Apophys gît désormais dans votre hypophyse. Hall of Desire : des notes de piano trop fortes pour être vraies, reviendront de temps en temps comme des ponctuations ensoleillées pour mieux approfondir le noir de la nuit définitive, les guitares barrissent, la batterie se trémousse en une indécente orgie sonore, et Danny rajoute du gros sel sur les blessures comme l'on passe un rouleau compresseur sur des cadavres putréfiés. Délirium trémens instrumental final. LXXVII : le vent se lève sur les sables du désert et balaie les bribes de votre entendement. Ritournelle du pire annoncé. Mind's Jail : trop tard, vous n'échapperez au courroux des Dieux qui s'offrent une fricassée de cervelles humaines pendant que Cléopâtre essaie de charmer les aspics de la mort afin que leur venin soit encore plus efficace. Elle y réussit parfaitement. Nakht vous assassine à coups de marteaux. Dites merci. Vous n'en avez jamais espéré autant.

    Nakht a réussi l'impossible : se métamorphoser sans se trahir. Changer pour accentuer son idiosyncrasie primale. Continuer sur sa lancée sans se répéter. Se renouveler sans se trahir. Être encore plus violent. Plus insidieux. Le scorpion maléfique à deux dards. Le cobra à deux têtes qui rampe sur le dos. L'horreur cent noms.
    Une démarche qui n'est pas sans rappeler celle du Zeppelin qui cherchait du nouveau dans les sonorités de l'Orient, mais ici il s'agit d'une autre filiation, d'une autre djentry, davantage métallique. Se tiennent du côté obscur de la force. Foudroyant.


    Damie Chad.

    MIND'S JAIL / NAKHT
    ( vidéoclip réalisé par : )

    ALEK GARBOWSKI / YANN GUENOT
    PICTURES & NOISED ABROAD PRODUCTION

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    Figure imposée, combo métal dans un studio, filmez et servez brûlant. Des vidéos de cet acabit l'en existe des milliers, la difficulté consiste à sortir du lot. Sûr qu'il vaut mieux partir avec un groupe et un morceau qui percutent les oreilles, mais une fois ce premier obstacle franchi, faut mettre en scène, intuiter la chorégraphie, et diriger la valse des séquences. En plus, il y a une petite clause, non écrite, en bas du cahier des charges que chaque réalisateur porte en sa tête, éviter à tout prix le piège de l'illustration musicale, fuir comme la peste les images redondantes, la paraphrase cinématographique qui ne sera qu'une redite sans intérêt. Construire un scénario graphique, qui apporte un sens, qui donne davantage de force et d'expressivité à la musique, tel est le but.
    Plongée dans le sombre bleutée d'une nuit spectrale. D'incertaines silhouettes se dessinent dans le vide. Que votre oeil soit aussi rapide que la flèche qui court vers la cible dans les éclats d'un soleil noir. Travelling sur Danny, pose de taureau, corps courbé vers le sol, vous vomit littéralement le chant dessus, entrecoupé des images virevoltantes de la chevelure blonde que Clément agite en tous sens comme s'il exhibait à la terre entière son propre scalp. Des fragments de guitaristes tournoient dans les images. A chaque fois plan serré, corps à corps des représentations avec leurs propres négations, ne jamais montrer l'intégralité d'une attitude, seulement en exposer des nano-secondes de tronçons iconiques, apparition-disparition, la caméra ne se fixe pas, elle enregistre des pièces d'un puzzle qui vous sont présentés une à une mais en un tel écartèlement d'espaces temporels si brefs qu'il vous est impossible d'en reconstituer une image mentale satisfaisante, happé que vous êtes par ce morcellement incessant. La batterie fracassée, pourtant dominée par le grondement de la voix de Danny, un grognement de bête empêtrée dans un combat mortel. Nous conte en d'affreux borborygmes les images cachées dans les tanières de l'inconscient humain. Visions d'horreurs sans nom et de désirs sans frein libérés de leurs gouffres qui remontent comme du fond des mers intérieures, de grosses bulles de suint qui éclatent à la surface et nous éclaboussent de leurs viscosités gluantes. Avec cette apparition d'une silhouette féminine qui s'en vient au travers des champs d'angoisse de la folie. Crispation de flashs fugitifs. Rencontre finale. La parole se fait chair et se retrouve en face de son cauchemar. Rêve et ramdam reconstitués. Androgynie du son et de l'image.
    Magnifique. Original. Figure imposée renouvelée. Réussite totale due à Alek Garbowski et Yann Guenot.

    Damie Chad.


    BOLLING STORY


    CLAUDE BOLLING 
    + JEAN-PIERRE DAUBRESSE

    Ce n'est pas que j'apprécie Claude Bolling, et j'avoue même que je me suis pas mal ennuyé durant au moins les trois-quarts du bouquin que je ne vous conseille pas de lire. A moins que vous ne soyez comme moi, turlupiné par une insidieuse question. Et je dois avouer que je n'ai pas trouvé la réponse dans ces trois-cents vingt pages – réjouissons-nous, près de soixante sont dévolues à la discographie de notre impétrant – et que je n'en suis pas plus avancé... Mais peut-être vaut-il mieux commencer par les faits eux-mêmes. D'autant plus que ceux-ci sont nombreux. Bolling se raconte, dans un ordre à peu près chronologique, l'on sent que le rôle de Jean-Pierre Daubresse a dû se réduire à celui de poseur de questions et vraisemblablement de transcripteur d'entretiens oraux. Un genre d'exercice peu propice à la réflexion, qui privilégie les dates, les anecdotes et les circonstances et qui se refuse à toute introspection historiale.

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    Bolling est né en 1930, suis surpris par le fait que ce patronyme n'est en rien un pseudonyme, son père était un véritable américain dont sa mère divorça relativement vite. Pas un drame. Nous sommes en milieu aisé et Claude aura droit à une enfance choyée et protégée. Entre Paris et la Côte d'Azur. Dessin et aquarelle seront ses premiers hobbies mais il se met comme les jeunes filles de bonne famille au piano, dans lequel il se révèle très vite assez doué. Evoluera de piano en piano, de professeur en professeur, apprendra à déchiffrer, à lire et à écrire la musique. L'on est chez des gens sérieux, pas question de se contenter d'une éducation à l'oreille, travaillera ses partitions de Debussy comme tout élève bien élevé qui se respecte. N'empêche qu'il n'est pas sourd, et qu'il laisse entrer dans ses pavillons largement ouverts les bruits musicaux qui traînent aux terrasses des cafés et à la radio. Le jazz est là, s'insinue en lui en contre-bande et finira par être élu roi... Il a tout juste douze ans lorsque son oncle lui refile un disque de Fats Waller. Illumination ! Il existe donc une autre manière de jouer du piano que l'académique !
    C'est ici que les questions me poussent dans le cerveau comme des bubons dans le pli de l'aine des pestiférés. Voici une génération favorisée des dieux. Ce n'est pas la première qui arrive dans le monde du jazz. Il existe déjà dans notre pays un milieu jazz non négligeable, l'a débarqué chez nous dans les fourgons de l'armée américaine en 1917, le Hot Club de France naît en 1932 et bientôt apparaît Django Reinhardt un musicien exceptionnel de classe internationale, un deuxième étage de la fusée américaine sera mis à feu avec la libération de Paris en 1944, le jazz est étiqueté musique de la liberté retrouvée...
    Mais ce n'est pas tout. Se produit un miracle auquel le rock'n'roll national n'a pas eu droit. Les musiciens noirs débarquent à Paris. Des mythes vivants, l'occasion de les voir, de les entendre, de les écouter. Mieux, de les approcher, de discuter avec eux, de jouer avec eux... et beaucoup plus si affinités qui s'établissent rapidement. Faut lire le récit de la rencontre avec Earl Hines au cours de laquelle le pianiste lui apprend tous ses trucs et la manière d'étirer ses doigts sur l'empan du clavier alors que l'on possède de petites mains. Mais il y aura plus, Bolling entretiendra une véritable amitié avec Duke Ellington in person et même Louis Armstrong. Le Duke l'invite sur scène à ses côtés et se sert de son savoir musical pour la transcription de nouveaux arrangements. Dans le même ordre d'idée l'on pensera à Sidney Bechet s'adjoignant l'orchestre de Claude Luter...
    Certes l'on me rétorquera que faute de grives l'on se contente de merles ( en l'occurrence ici blancs )... Ou alors on insistera sur le ravissement de ces musiciens noirs considérés et fêtés en France comme des génies, une attitude qui devait les changer des continuelles rebuffades subies en leur pays. Là n'est pas mon propos. Lorsque l'on regarde la suite de la carrière de Claude Bolling, l'on reste surpris. On s'imagine que boosté par une telle reconnaissance de figures mythiques du jazz, notre héros allait se propulser en une démarche musicale de haut niveau. Or il n'en fut rien. Ses activités se déployèrent selon deux directions, rémunératrice pour la première et fort honorifiquement agréable pour la deuxième. Bolling écrivit près de quatre-vingt musiques de film, de quoi faire bouillir la marmite, l'est particulièrement fier de Borsalino, cela se peut comprendre. Mais il possède aussi son grand orchestre. L'occasion de donner de multiples concerts en France et dans le monde entier. Et Bolling tout en portant l'accent sur ses talents de compositeur et d'arrangeur de haut-niveau, de son éclectisme qui court de la musique classique à la variétoche la plus franchouillarde, en passant par le jazz le plus pur, tire sur la grosse ficelle du respect que l'on se doit de porter à la musique populaire... Sa contribution jazzistique se réduit à des adaptations grand-public des grandes figures tutélaires du jazz, quand il les aura toutes passées en revue il s'attaquera aux sous-genres ragtime, boogie-woogie, blues...
    Une clef peut-être pour comprendre un tel cheminement. Se livre davantage dans les quinze dernières pages, d'abord sa passion pour le modélisme ferroviaire, et nous sert enfin sa vision du jazz. N'est guère éloigné de la rétrograde position d'Hugues Panassié resté bloqué et crispé en une attitude des plus puristes sur le New Orleans, Bolling regrette que cette musique de danse se soit fourvoyée à partir de la naissance du Bebop dans l'intellectualisme... Le livre s'arrête brutalement sur l'évocation de sa prescience écologique... Très symptomatique de ces gens qui courent après l'histoire et qui restent enfermés dans le bon temps de leur jeunesse. Par contre son témoignage sur le recul de la musique vivante nous agrée, il évoque avec regret cette lointaine époque où la duplication sonore était interdite en tous lieux publics, sur les plateaux radio et à la télévision, cette loi que l'on pourrait juger de draconienne avait pour corollaire la multiplication des formations de tous genres...
    Le livre est entrecoupé de témoignages de divers compagnons de route de Claude Bolling comme Jean-Christophe Averty ou Jacques Deray, la plupart d'entre eux sonnent un peu nostalgeo-ringards, difficile d'avoir été et de n'être plus, le temps dévore tout, l'oubli triomphe des gloires passées, l'acrimonie de la célébrité enfuie ronge les caractères...
    Enfin les rockers seront heureux de savoir que Claude Bolling évite soigneusement de prononcer le mot rock'n'roll, ne le lâche que par trois fois du bout des lèvres, parce que les situations rapportées l'obligent, mais l'on sent le mépris sous-jacent sous l'ignorance affectée.


    Damie Chad.